Parmi cette grosse douzaine de textes, incluant un « Index » qui est lui-même un texte, on ne trouve aucune nouvelle à chute. Les récits de Fièvre guerrière procèdent plutôt par glissement progressif d’une situation banale vers une situation absurde, inquiétante ou démesurée. En somme, Ballard jouait entre 1975 et 1990 avec les codes de la littérature fantastique, comme un Danielewski a pu le faire ensuite. L’auteur de la Maison des feuilles, d’ailleurs, a dû lire dans ce recueil les « Notes pour une déconstruction mentale », composées de vingt-trois mots et dix-huit notes de bas de page (plus une du traducteur…), lesquelles constituent ainsi l’essentiel du texte ; peut-être aussi cette phrase d’« Univers en expansion : « J’ai l’impression qu’il y a plus de pièces qu’il semble y en avoir à première vue. » (p. 187 de l’édition Stock) ; ou encore ce « Rapport sur une station spatiale non identifiée », qui évoque un lieu remettant en cause la notion d’échelle, la station en question méritant à plus d’un titre son qualificatif de spatiale
Dans Fièvre guerrière, Beyrouth est devenue un théâtre d’opérations militaires, la copulation est un devoir citoyen, la Troisième Guerre mondiale est passée inaperçue, l’exploration spatiale est un racontar de vagabond et en Floride le temps ralentit jusqu’à s’abolir… Quoique les intrigues soient variées, ces textes qui n’excèdent jamais une quarantaine de pages manifestent une cohérence et une unité évidentes. Au centre des préoccupations de Ballard se trouve l’idée d’une réalité fondamentalement incertaine. « Le colonel Stamford essaie-t-il de détourner le monde ? » (p. 98), se demande un narrateur, et c’est bien de cela qu’il s’agit : le monde ne tourne pas, il se détourne.
Quant à l’écriture, elle est exactement ce qu’il faut pour mettre en place et entretenir cette confusion entre fiction et réalité : raisonnements paranoïaques et brinquebalants de narrateurs au bout du rouleau, journaux de bord impossibles, élucubrations psychotiques, pastiche de critique universitaire ou vraies-fausses confessions – le ton de Fièvre guerrière fait du réel quelque chose de vacillant : « Bien que ce synopsis dissimule un labyrinthe de mensonges et de déformations, il se pourrait qu’il ne soit qu’une simple et irréfutable relation de la réalité » (p. 255).
Cela dit, ces nouvelles sont plus souvent intrigantes que véritablement vertigineuses. Ça ne leur enlève pas de mérite, mais ça en limite la portée.

Alcofribas
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le 4 mars 2017

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