Une vie de roman

*Féru de littérature, agent sous le régime de Vichy, résistant, plusieurs fois sénateur et ministre sous la IVe République… François Mitterrand aura vécu de nombreuses vies et porté autant de visages.

Philip Short nous raconte ce personnage éminemment romanesque qui, sous la plume de n’importe quel biographe ou essayiste, ne cesse de transformer l’essai dont il fait l’objet en roman.*

Une vie de roman

Difficile de ne pas être balzacien lorsque l’on écrit sur le 4e président de la République française. Cet homme, issu d’une famille de droite et qui s’imposera à gauche, se distingue par un goût immodéré du mystère et du paradoxe, mais également par un parcours tumultueux.

Doté d’une longévité (premier président à avoir effectué deux septennats) et d’une obstination sans égale (20 ans dans l’opposition, 2 tentatives avortées aux présidentielles de 65 et de 74), François Mitterrand aura fait plusieurs traversées du désert avant de parvenir à son but ultime : la présidence de la République.

Critique virulent du général de Gaulle et des institutions de la Ve République, le Florentin parviendra aisément à s’installer sur le trône républicain et à user des pouvoirs qu’il a combattus durant les années 60.

Regard anglo-saxon

Contrairement à d’autres biographies sur l’ancien président, écrites par des plumes talentueuses mais parfois partisanes, l’essai de Philip Short nous offre un recul appréciable sur le personnage de François Mitterrand.

Tout en étant fasciné par l'homme politique, Philip Short évite la tentation, propre à certains biographes français, de vouloir refaire l’Histoire.

Le journaliste britannique parvient à captiver le lecteur tout en analysant rationnellement le bilan politique et social du premier président socialiste. Son sens de la nuance permet de déconstruire certains stéréotypes tenaces sur le bipartisme à la française.

En effet, Short nous démontre, sources à l’appui, que la droite n’a pas forcément la main légère sur la fiscalité, et qu’un Chirac semble avoir un parcours et une sensibilité beaucoup plus orientés à gauche qu’un Mitterrand…

Le dernier monarque républicain ?

Après son départ de l’Élysée en 1995, il est évident que ses successeurs n’ont su se hisser au même niveau de stature que Mitterrand. De Nicolas Sarkozy à Emmanuel Macron, en passant par François Hollande, et au-delà des jugements de chacun sur leurs réformes respectives, la génération qu’incarne François Mitterrand (mais aussi Charles de Gaulle) n’est plus.

La culture et le sens de l’Histoire qu’avaient ces deux chefs d’État semblent échapper à nos monarques actuels, dont la formation s’est faite exclusivement par la voie académique (Sciences Po, ENA) et beaucoup moins par une expérience de vie (Première et Seconde Guerre mondiale, bouleversements de Mai 68…).

La fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, et la chute du mur de Berlin, en 1989, ont inauguré une nouvelle ère relativement stable, mais qui ne peut plus enfanter ce type de personnages. Sans nier les crises inédites qu’affrontent et ont affrontées nos présidents actuels (crise financière, terrorisme, pandémie de la Covid-19…), ils ne viennent pas du même monde.

Ils ont notamment été élus dès leur première participation à l’élection présidentielle. Ce qui n’est pas le cas d’un Mitterrand, voire d’un Chirac, qui ont échoué par deux fois avant d’accéder au pouvoir.

Leurs parcours, plus intenses et romanesques, ne semblent pas s’accorder à notre époque, en apparence plus stable et pacifique…