Il était une fois un auteur, David Vann, dont le père se suicida alors que son fils était adolescent. Le petit David devenu grand, pour mieux combattre son Goliath - ou pour mieux vivre avec, décida d'écrire des romans inspirés de son histoire familiale.


Il était une fois, un garçon de 11 ans, accompagnés de son père, d'un ami de ce dernier et de son grand-père paternel. Ils partirent tous les 4 à la chasse, coutume locale et familiale. Mais cette année sera spéciale puisque ce sera celle où le tout jeune homme pourra tuer son premier cerf, une étape cruciale pour devenir un homme, un vrai, au sein de son clan. L'histoire est racontée à la première personne par le garçon désormais adulte.


Ceux qui ont déjà lu un ou plusieurs livres de David Vann savent déjà qu'ils vont recevoir un uppercut qui les laissera K.O. Attention, préparez vos protège-dents : ici, les festivités commencent dès le deuxième chapitre (je n'en dirai pas plus ; celles et ceux qui veulent garder le choc intact devront éviter de lire les autres critiques de ce livre et la quatrième de couverture.)


Oh, il y en a d'autres des chocs dans ce livre : une scène de chasse d'une barbarie à la limite du soutenable, et la toute fin bien sûr.


Mais ne comptez pas sur le reste du livre pour vous laisser tranquille : comme dans tout livre de David Vann, chaque chapitre, chaque phrase est emplie d'une tension presque palpable. Et lorsque les accès de violence surgissent, ce n'est pas un soulagement que l'on ressent, mais le sentiment que l'on va être happé encore plus profondément dans cet enfer.


L'enfer, justement. Quasiment chaque chapitre commence par des analogies religieuses, comme pour remonter aux sources de la sauvagerie qui peut caractériser l'être humain, et pour expliquer son besoin de tuer (NB : je crois que David Vann est athée.)
L'auteur tente d'analyser le rapport ambigu au recours à la violence et aux armes, extensions naturelles du corps humain pour certains.


Le rapport à la nature, également. David Vann quitte ici l'Alaska pour le nord de la Californie. Goat mountain, l'endroit où se situe l'histoire qui donne son nom au livre, est un personnage à part entière. L'écrivain décrit en détails la nature tantôt complice, tantôt hostile, tantôt victime, tantôt maîtresse. Goat mountain recèle de végétation, d'animaux, de couleurs, de bruits, d'odeurs.


Et puis la famille, bien sûr. Pas de femme (une seule, à peine évoquée), que des hommes de plusieurs générations. On se doute que la violence règne dans cette famille, même hors période de chasse. Le grand-père est décrit comme une entité, une créature à peine humaine ; le père est tiraillé entre ses rôles de père, de fils et d'homme. La colère sommeille. Les tragédies qui vont se dérouler durant ces quelques jours de retraite pleine de testostérone vont la réveiller brutalement, cette colère, et vont faire voler la famille - et l'amitié - en éclats.


Ses amateurs reconnaîtront le style d'écriture de David Vann : mélange de longues phrases descriptives suivies d'autres plus sèches, cinglantes, crues. Parfois quelques mots, sans sujet ni verbe (voilà, comme ça.) Les dialogues entremêlés au récit. La forme peut paraître froide, voire ennuyeuse par moments (dans les passages de théorisation et de description).


Pour celles et ceux qui laisseront son style et l'histoire s'emparer d'eux, commencer ce livre, c'est le dévorer tout cru (en 2 jours en ce qui me concerne.) Le repas sera néanmoins peut-être désagréable pour certains (je pense à vous, chers lecteurs masculins en proie à vos démons paternels.)
Mais lire un David Vann reste une expérience rare et puissante, traumatisante, révélatrice. Et donc un bonheur de lecteur.

Créée

le 28 juin 2015

Critique lue 353 fois

LeslieLou

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