Pour bon nombre d'amateur du Cyberpunk, Gravité à la manque compte parmi la quinzaine d’incontournables des livres qui ont fondé le genre durant les années 80. Cet ouvrage se démarque tout de même sur certains points des canons Cyberpunk et me semble d'un accès plus aisé pour le lecteur.

Comme souvent dans la littérature Cyberpunk l'Occident s'est effondré, il s'est balkanisé en une myriades de petites nations. Mais dans Gravité à la manque, le récit ne prend pas place dans un Occident ravagé. L'histoire se déroule dans un Moyen Orient décalé. L'univers du roman n'est pas vraiment une tentative prospectiviste des pays du Golfe Persique contemporains à l'auteur mais m’apparaît davantage comme un cadre vierge de présupposés et d'attentes pour le lecteur. Même si l'on est bien informé et attentif au monde dans son ensemble, le Moyen Orient reste pour un esprit occidental un espace flou et imprécis surtout selon moi lors de la publication de ce livre en 1987. Dans Gravité à la manque, la ville imaginaire du Boudayin dans laquelle se déroule l'histoire ne ressemble pas aux univers sombres du Cyberpunk classique, nous sommes davantage dans une espèce de mille et une nuits balançant entre technologie et traditionalisme culturel musulman. L'univers du roman en devient exotique et bien souvent rafraîchissant.

La thématique de l'individu écrasé par des géants corporatifs que l'on retrouve dans nombre d'histoires Cyberpunk n'est pas présente ici. Le personnage se débat bien davantage avec ses propres démons, sa culpabilité, son sens du devoir et de l'honneur et les antagonistes sont bel et bien incarnés. L'auteur explore de manière classique les codes du roman noir traditionnel et distille régulièrement des références aux classiques du genre.

Là où Gravité à la manque est résolument une oeuvre fondatrice du courant Cyberpunk, c'est dans son traitement de la thématique des limites du corps. Dans ce roman le corps n'est pas seulement optimisé ou amélioré par la technologie pour rendre des personnages plus forts ou efficaces. Ici le corps est transformé avant tout pour des questions d’identité. Que ce soit des puces implantées pour échanger sa personnalité contre celle d'une célébrité ou d'un modèle comportemental, ou bien que ce soit des changements de sexe dans une démarche transgenre, la quasi totalité de la population de l'univers du roman expérimente des transformations de son corps ou de sa personnalité. Et ceux qui ne franchissent pas ces limites consomment quotidiennement des drogues jouant avec leur humeur et leurs sensations. Le roman n'est pas un prétexte pour l'auteur pour analyser ou étudier ces questions d’identité et de limite du corps, aucune question, aucune morale n'est suggérée par le récit. L'univers est juste comme cela est c'est intéressant à lire.

Le récit lui même est entraînant. Le personnage de Marid qui fuit au jour le jour le réel dans les drogues et qui est effrayé à l’idée de ficher dans son esprit des puces de connaissances ou de personnalité est entraîné dans une chaîne d’événements qui bouleverseront sa vie et la façon dont il sera perçu par son environnement. Une histoire bien menée dans la veine du roman noir.

Définitivement un roman à lire, que l'on aime le genre Cyberpunk ou non.
Ygwee
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le 4 sept. 2013

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