OUI ! Oui, j’ai été complètement bluffé par ce livre et par son auteure, que je ne connaissais pas.
En près de quatre-vingts ans de fréquentation de mes semblables, involontairement mais spontanément, comme tout un chacun, je préjuge un individu au premier coup d’œil, certain appelle ça la morphopsychologie, d’autre le délit de faciès, c'est selon. Toujours est-il que la photo d’Eva Dolan qui illustrait l’article concernant ses romans (“Les chemins de la haine” et “Haine pour haine”) m’a laissé dubitatif : voila une jeune femme, dans la trentaine (aucun site ne donne son âge), les lèvres figées dans un vague sourire boudeur, la chevelure brune, mi-longue, négligemment lâchée sur l’encolure, mais surtout le regard, un regard à la fois indécis, flou et légèrement interrogateur, comme épiant l’objectif avec une certaine lassitude. L’ensemble général évoque plus l’inquiétude, l’asthénie et la langueur que les qualificatifs employés pour décrire ses livres et sa prose, du style « Silence on tue ! ».
Et ça continue quand on apprend qu’Eva Dolan, originaire de l’Essex, vit près de Cambridge. Un temps critique de polar, elle est passée brillamment côté auteurs avec son premier roman, Les Chemins de la haine, qui remporte en 2018 le Grand Prix des lectrices de ELLE dans la catégorie « Policier », suivi de Haine pour haine (janvier 2019). Auteur de trois autres romans, Eva Dolan ne pose sa plume que pour jouer au poker, sa seconde passion. Polar, poker… décidément ça ne colle pas avec son image.
Qu’est ce c’est que ces bouquins qui traitent de la “Haine” ? Dans son premier roman, Les Chemins de la haine, Eva Dolan insistait sur la peur des étrangers qui ronge la classe moyenne anglaise et sur l’exploitation proprement effarante d’une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci. Dans Haine pour haine l’auteure se concentre sur d’autres engagements : la haine généralisée de l’étranger. Et l’étranger, c’est l’autre, quand bien même serait-il né en Angleterre depuis deux ou trois générations. On est dans un pays où « Les Polonais détestaient les Lituaniens, les Bulgares détestaient les Roumains, et tout le monde méprisait les Roms. » Et où les Polonais haïssent les Pakistanais et où les Pakistanais exècrent les Polonais…
Et, à qui, au commissariat de Peterborough, sont confiées les enquêtes concernant ces inévitables conflits ? À la section des « crimes de haine », bien sûr, où l’on retrouve l’inspecteur Dushan Zigic, d’origine serbe mais qui peut, à l’occasion, se débrouiller en polonais, et le sergent Melinda Ferreira, dont les parents portugais tiennent un pub on ne peut plus britannique, un beau duo (très british) qui travaille sur les crimes racistes. L’un est pondéré, marié et père de famille, l’autre est célibataire avec une tendance à faire la fête.
Mais si Ferreira voit des fachos partout et réagit au quart de tour, Zigic « ne se sentait lui-même aucune ferveur patriotique, c’était même un concept dont il se méfiait, qui copinait trop souvent avec des idées nauséabondes : nationalisme, xénophobie et autres notions de suprématie raciale qui n’auraient pas dû avoir leur place dans le XXI° siècle. »
C’est dans une Angleterre en proie à des démons identitaires et avec la question obsédante du sort des migrants économiques qui tentent de s’arracher à leur misère originelle que l’inspecteur Dushan Zigic va devoir résoudre l’énigme des crimes qui, chaque jour, s’accumulent. Pris entre deux feux – sa direction qui veut à tout prix éviter un embrasement communautaire et une victime qui se révèle très peu coopérative –, Zigic tente de démêler le vrai du faux et de faire surgir la vérité derrière les discours policés et le mutisme des autorités à l’ombre d’un député d’extrême droite à l’ambition démesurée.
En mettant face à face haines ancestrales et intolérance populiste érigée en programme politique (suivez mon regard), Eva Dolan frappe fort et juste.
Et tant pis si je suis catalogué de sexisme ou de machisme, mais pour revenir au début de mon commentaire, je confirme que ce thriller urbain à l’enquête de police rigoureuse et aux personnages très construits est tout à fait digne d’un auteur masculin, dans la lignée d’un Olivier Norek, ex-officier de police judiciaire… à suivre.

Philou33
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le 15 juil. 2019

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