De l’Antiquité grecque jusqu’aujourd’hui, l’école restera au cœur de la transmission de l’art littéraire, et on vérifiera toujours qu’elle est le théâtre d’un conflit qui lui est consubstantiel : d’un côté, elle contribue à fixer la tradition littéraire , donc à assurer la continuité de sa mémoire (...), de l’autre ces traditions ne valent que par leur réactualisation permanente au sein de l’espace social, donc par l’effacement de leur historicité.
L'Histoire littéraire, Alain Vaillant.
Or Hernani n'est qu'historicité... La postérité d'Hernani se sera faite aux dépens, c'est très cynique, d'autres pièces plus abouties de Victor Hugo qui peuvent encore nous parler aujourd'hui comme Le Roi s'amuse, Amy Robsart etc.
Précisement, pour Hernani, je crois que, si c'est une bonne pièce, les circonstances qui l'ont vu naître et exister lui donnent plus de valeur que ses qualités intrinsèques. Elle est moins intéressante comme pièce que comme fait historique. Hernani n'est pas un classique pour moi, c'est une révolution de la forme où les registres se mêlent, où il y a du sublime, où la fatalité n'a plus court etc. Un pièce romantique qui rompt avec la tradition litteraire de l'epoque.
Mais Hernani nous ramène plus sûrement deux siècles en arriere au milieu du fracas où fait rage la fameuse Bataille d'Hernani de 1830 qu'elle ne nous enseigne ou ne fait écho à notre présent. Elle ne vaut que pour cela : avoir été l'instrument d'une révolte culturelle passée. Surévaluer Hernani du point de vu litteraire c'est se former une mémoire littéraire qui ne regarde que le passée sans penser à un demain qu'on se confisque. D'un point de vu marxiste c'est un phénomène volontaire en tant qu'il est institutionnalisé et devient un processus par lequel l'esthétique et la pensée bourgeoise dominante se perpétuent. Ainsi le ministère de l'Education Nationale a même inseré cet objet silencieux qu'est Hernani dans les programmes scolaires. Quand dans les faits cette pièce n'est quasiment plus jouée depuis les années 1970. La postérité d'Hernani est donc d'autant plus politique que c'est un objet culturel instrumentalisé.
Ne pas voir Hernani presqu'uniquement comme un objet d'histoire devenu muet c'est rester prisonnier d'une doxa et entretenir dans le même temps une tradition litteraire reactionnaire et morte quand celle-ci devrait être vivante... Drame de notre condition qui consiste à enfermer l'art et l'enchaîner à son passée.
Pour résumer, si j'aime Hernani et lui ai mis 8/10, c'est davantage pour la provocation qu'elle represente et la badassitude de Victor Hugo que par l'histoire qu'elle raconte qui est, dans une certaine mesure, la revisite d'autres pièces (comme Le Cid de Corneille) à la sauce romantique. Hernani est un objet et un instrument de revolte du debut du XIXème.
Il faut connaitre Hernani comme on connait un fait historique majeur, ce qu'elle persiste à demeurer et qui n'a de grande valeur que pour cela. Hernani est une pièce devenue muette pour les lecteurs, qui ne dit plus rien dans le texte et qui à cet égard ne doit sa postérité dans la litterature, au final, qu'à la doxa dont parle Jean-Pierre Martin (in Du régime de pensée propre à la littérature) :
Que la littérature puisse penser par elle-même, qu’elle soit en elle-même, indépendamment de tous les savoirs, une science humaine ou une science de la vie : voilà ce que paradoxalement la doxa de la France littéraire a contribué à nous faire oublier.