Il m'est extrêmement difficile de critiquer les livres de Sacha Sperling, parce que je voue à leur auteur une tendresse et une admiration toutes particulières. Il est en effet celui qui a accompagné successivement (la fin de) mon enfance, mon adolescence, et mes premiers pas de jeune adulte, avec des romans que j'ai dévorés, adorés parfois, lus et relus, cités jusqu'à plus soif, érigés en idoles, prêtés et partagés.
Toutefois, difficile n'est pas impossible et peut même parfois s'avérer amusant.
Décortiquons le nouveau roman de Sacha Sperling, donc.
Ce roman, c'est l'histoire de Mona, ou Kim, ou Holly, on ne sait plus très bien à la fin, jeune fille fuyante qui a tous les visages de la femme, mais conserve toujours en arrière-plan celui de l'enfance persistante.
Mona naît et grandit à Paradise Hills, dans la banlieue de San Diego, Californie. Un père parti, comme tout ceux des pavillons sordides qui l'entourent, une mère qui était belle mais qui n'est plus que fatiguée, un beau-père crasseux secrètement obsédé par sa belle-fille. Mona pourrait finir comme sa mère, mais Mona en mourrait, alors Mona s'enfuit. Elle gagne la ville, la vraie : Los Angeles. Elle gagne sa vie. Son but : devenir quelqu'un. Son moyen : son cul. Mona devient Holly, qui jouit comme on sourit. Naturellement, au début, et puis avec de plus en plus de lassitude. Ce n'est que le début des ennuis.
Sacha Sperling s'est manifestement éclaté, en écrivant ce livre. Le plaisir de l'auteur, qui joue avec les personnages et les situations de ce roman choral, affleure à chaque page. Si bien que parfois, ça prend. On se laisse emporter par les paysages, l'odeur de chaleur, les grands boulevards fouettés par le vent. Tout à coup c'est Kill Bill, de Quentin Tarentino, parce qu'Histoire de petite fille, c'est avant tout l'histoire d'une vengeance. Revanche sur la vie, sur la mauvaise naissance, sur le quotidien navrant et la famille impuissante. Tout à coup c'est Baise Moi, de Virginie Despentes, parce qu'Histoire de petite fille c'est aussi l'histoire d'une fille qui dispose de son corps de toutes les façons possibles. On croit que le roman est féministe, presque.
La fin, conçue comme un faux-semblant, est ingénieuse. Tiens, ça retombe et ça nous laisse pantois ? C'est ça, la fin, cette fin décevante, moralisatrice, qui déconstruit du même coup tout l'engouement grisant qui avait précédé ? La petite fille encore une fois sauvée par un homme ? Le corps qui emprisonne plus qu'il ne libère ? Peut-être pas.
Un roman habile donc, et bien conçu, mais l'intrigue savamment ficelée ne suffit pas à faire oublier les défauts et les maladresses. Le ton sonne souvent faux, le parler des personnages presque mimétique, tant il est improbable. L'étalage de stupre et de détails sordides, qui pourraient être suggérés une fois qu'ils ont été développés une bonne fois pour toute, laisse perplexe, on ne comprend pas très bien le but de la manoeuvre. Le milieu de l'ouvrage reste très creux, électrocardiogramme plat. Enfin, et surtout, c'est très souvent convenu, pour ne pas dire cliché : les hommes tous évidemment attirés comme des aimants par la nymphette porn star, les femmes en revanche imperméables et aigries, le gentil amoureux éconduit, la maman repentie. Beaucoup de figures que l'on connaît déjà, et un roman qui dans sa globalité n'invente rien. Dommage.
Un ouvrage en demi-teinte, donc, qui se lit agréablement et avec le plaisir de retrouver un vieux copain, mais dont on ne garde probablement que peu de souvenirs.

abigbigbigbelly
6
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le 4 mars 2016

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