Lui qui a été tellement en avance, Gibson se retrouve désormais à l'arrière-ban... Dans ce dernier volet de sa troisième « trilogie » (entamée avec Pattern Recognition et Spook Country), on retrouve tout ce qui fait le charme de l'ex-figure tutélaire du cyberpunk : les sous-intrigues qui s'entremêlent peu à peu jusqu'au dénouement final ; le style incisif, brillant, à propos du moindre détail ; une galerie de personnages attachants et récurrents d'un opus à l'autre ; et surtout cette façon d'être à l'écoute des tendances, souvent souterraines, d'une époque, en l'occurrence dans des domaines aussi variés que la mode, le marketing, le complexe militaro-industriel, le transport urbain ou les visages cachés d'Internet.


Mais alors qu'il avait pour habitude de les extrapoler jusqu'à donner naissance à un monde nouveau, bigarré, foisonnant, brutal, sauvagement futuriste, Gibson a progressivement, tandis que notre monde se mettait de plus en plus à ressembler à ses romans, rapproché la scène temporelle de ceux-ci... jusqu'à ne « plus » devenir qu'un chroniqueur de notre époque, façon thrillers avec une bonne pincée de technologie.


Un chroniqueur talentueux, sans aucun doute, qu'on retrouve toujours avec plaisir, mais dont les recettes sont un peu trop connues, dont les ouvrages ont eu un peu trop tendance à s'épaissir, et surtout qui, ironie suprême, est désormais... en retard. En témoigne par exemple la façon dont Twitter paraît, dans Zero History, un territoire étranger, nouveau - ce qui colle à l'histoire personnelle et l'état d'esprit du personnage concerné, certes, mais on sent confusément qu'il n'y pas que ça, dans cette façon répétée de s'attarder sur la terminologie, de se forcer à utiliser un langage SMS qui sonne faux.


Ce n'était pas le cas dans Pattern Recognition, ni dans une moindre mesure dans Spook Country, qui tenaient encore bien la route ; mais Zero History est d'autant plus cruellement décevant qu'on a adoré ses nombreux prédécesseurs, et qu'une partie du charme est encore là - mais en inadéquation avec le reste : un scénario beaucoup plus faible, des longueurs, une légère tendance à se repéter (de façon assez mineure, mais ça étonne)...


Constat amer : alors que les premiers opus de Gibson transportaient le lecteur, le bluffaient par l'inventivité et les fulgurances dont ils regorgeaient, la finesse de l'intuition, et la capacité à tirer de tout cela un univers crédible et kaléïdoscopique, on en est maintenant plutôt réduit à compter sur les doigts de la main ce que, dans Zero History, on ne connaissait pas déjà (et plus en profondeur que ça n'y est abordé) - et à conclure que ça se limite à l'univers des livreurs professionnels londoniens. Et ce manque-là, le manque de ce qui était peut-être le liant fondamental des ouvrages de Gibson, fait d'autant plus ressortir les autres faiblesses.


Aussi triste que ce soit, on ne peut s'empêcher de penser, en refermant le livre, qu'en vieillissant Gibson s'est fait rattraper, et dépasser, par une époque qu'il a pourtant pressentie et qu'il a contribué à modeler.


Reste son style, toujours brillant, et c'est déjà beaucoup.

Talae
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le 4 févr. 2014

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