Homo deus
6.8
Homo deus

livre de Yuval Noah Harari (2015)

Une longue histoire de l'avenir mais aussi un peu du passé et du présent et de Sapiens

Homo Deus, une brève histoire du futur, a lui pour ambition d’essayer de décrire ce que pourrait être l’avenir de notre espèce. Il n’est bien sûr pas dans la prophétie, mais plutôt dans l’analyse des mouvements actuels qui pourraient avoir un impact particulièrement important pour notre futur. Par exemple et sans divulgâcher, on abordera l’intelligence artificielle ou le transhumanisme.


Ayant pour ma part dévoré Homo Sapiens, je me suis jeté sur Homo Deus comme un malpropre. Et, on va le voir tout de suite, je ne suis pas certain d’avoir fait le bon choix.


Pour être juste, il faut déjà rappeler que je n’ai acheté Homo Deus que parce que j’avais beaucoup apprécié le 1, et que je m’attendais à retrouver les éléments qui m’avaient fait l’aimer. C’est le même ressort qui joue pour les saisons de séries, les suites de films et de livres, etc. On est plus facilement déçu par une suite, notamment lorsque le début est excellent.


n aspect primordial du succès d’Homo Sapiens, à mon avis, se trouve dans la forme: si l’on parle de biologie, de neurologie, d’anthropologie, d’archéologie, et de bien d’autres sciences, le livre se lit comme un roman. On lit l’histoire de l’Homme, certes, mais on lit une histoire. Le livre a donc le mérite de ne pas être un traité imbitable où il faut s’accrocher, relire la page qu’on vient tout juste de terminer, ou aller chercher la définition de terminologies inconnues ou mal maîtrisées.


Et pourtant, il propose cependant au lecteur une réflexion constante, sur telle ou telle théorie, telle ou telle possibilité, reconnaissant que, sur tel ou tel point, on ne sait pas grand chose et qu’on peut laisser la part libre à l’imagination. On se laisse porter par l’histoire et la façon de conter de l’auteur, mais on se perd en même temps dans nos propres réflexions sur l’argent, l’amour, la société, la religion, le bonheur, et d’autres encore.


Mieux, c’est un livre qui m’a donné l’occasion de discuter avec des inconnus qui, voyant le livre dans mes mains, ont engagé la discussion. Je doute que cela vous arrive avec le dernier livre de Philippe de Villiers.


Bref, trêves d’éloges. Le 1 est génial, on a compris. Bon. Comme on est là pour le 2, faudrait peut-être avancer.


Homo Deus, on l’a dit, se propose d’anticiper sur le futur de l’humanité en essayant de deviner, à l’aune de ce que nous voyons aujourd’hui, ce que pourraient être les grands bouleversements à venir dans l’humanité.


Je ne vais pas vous le cacher, quand le premier chapitre débute avec un « l’homme a vaincu la famine, la guerre et les épidémies », ça part mal. Quand ton premier élément de réflexion, celui sur lequel tout le reste se base, vole en éclat un an après la parution de ton livre, ça sent pas le franc succès.


Bien sûr, Harari nuance son propos, précisant que sur le principe, l’homme a vaincu, puisque nous sommes capables de produire des vaccins et d’annihiler une épidémie, même si elle nous cause des problèmes. Il n’empêche que, quand tu commences le livre alors que t’es enfermé chez toi depuis bientôt un an, l’impression donnée est quelque peu négative.
Mais ne nous attardons pas sur un détail. Le gros problème du livre, c’est qu’il n’a que peu d’éléments factuels sur lequel se baser pour essayer de décrypter l’avenir (c’est un peu le principe de l’avenir, d’ailleurs). Du coup, il fait le choix, là aussi logique, d’étudier d’abord le passé de l’humanité pour comprendre ce que nous sommes, pour ensuite pouvoir « prédire » avec un peu plus de pertinence.


Le problème, c’est que si ce choix est parfaitement rationnel, il est très emmerdant pour le lecteur: quasiment la moitié du livre est consacrée à du recyclage d’infos qu’on a déjà dans Homo Sapiens. On a même parfois des phrases ou des expressions déjà utilisées dans le tome 1. Si ces infos sont toujours aussi intéressantes, on a un peu l’impression de se faire doucement avoir.


Et malheureusement, cette impression s’est transformée, pour ma part, en procès d’intention: un livre marche bien pour de bonnes raisons, et paf, on en sort une adaptation en BD en plusieurs tomes histoire de maximiser les bénéfices, puis une suite où on va recycler tranquillement le 1, puis un essai sur les grands défis contemporains (21 leçons pour le xxie siècle, le troisième tome) qui va probablement reprendre les éléments du 2 qui n’étaient pas dans le 1 (oui, faut suivre). Le procès d’intention n’est peut-être pas justifié, bien sûr, mais quand on a l’insidieuse impression d’être pris pour un jambon, on aborde pas l’oeuvre de la même manière.


Ce n’est qu’à partir de la deuxième partie du livre (page 173 sur 423, tout de même) qu’on commence à aborder de nouveaux thèmes, entremêlés de rappels de concepts déjà présents dans Homo Sapiens. La troisième partie, elle, est foncièrement inédite et propose des réflexions très intéressantes, j’y reviendrai. Malheureusement, l’intérêt de ces deux parties se retrouve fortement amenuisé par les redites constantes, d’une page à une autre, où Harari reformule, donne des exemples différents, ou répète ses propos. J’ai franchement eu du mal à le terminer.


Très clairement, Harari a manqué de matière pour écrire ce livre, ce qui l’a forcé à réutiliser des choses qu’il avait déjà traité, ou à radoter quelque peu pour remplir son quota de pages. Cela renforce encore l’impression qu’on avait eu tout le long de la première partie, et l’on se demande à la fin du livre si son éditeur ne l’a pas un peu pressé pour sortir la suite afin de capitaliser sur le succès du tome 1. Là encore, je fais un procès d’intention peu sympathique, mais ma foi la faute en revient à l’auteur qui n’a soit pas su tenir le niveau de son premier tome, soit pas su adapter sa manière d’écrire à un exercice qui est fondamentalement différent.


Je dois cependant donner quelques éléments pour nuancer la critique.


Déjà et c’est évident, l’anticipation sur le futur est un exercice extrêmement délicat. Les éléments factuels manquent, on peut se tromper sur à peu près tout, et le moindre élément anticipé qui se révèle faux a tendance à discréditer tout le reste (cf. les humains ont vaincu les pandémies). De plus, Harari sort de son domaine de prédiléction, il n’est plus dans l’Histoire, ce qui rend sa tâche plus difficile.


Ensuite, Homo Deus est, comme Homo Sapiens, un livre riche d’éléments scientifiques exposés de manière simple. De nombreux thèmes m’ont passionné (même s’il faut attendre la fin du livre pour les voir), et ceux-ci sont là encore pour la plupart pertinentes et sources de réflexions. J’essaie à chaque fois d’en dire le moins possible sur les sujets que je traite pour éviter de divulgâcher, mais je me dois d’évoquer, pour rendre justice à Homo Deus et à son auteur, les excellents passages sur l’humanisme et le libéralisme, sur l’individualisme et le communisme, le moi narrateur et le moi expérimentateur, les algorithmes et les « dataïstes ».


Bref, pour conclure, si vous espérez trouver une histoire à dévorer dans Homo Deus, vous serez probablement déçus. En revanche, vous y trouverez toujours ce qui a fait une partie du succès d’Homo Sapiens: des éléments de réflexions à gogo, pertinents et intéressants. Pour ma part, je recommanderai d’attendre (si cela se fait un jour) un format poche, les 24€ de l’édition Albin Michel me paraissant un peu trop élevés pour le contenu.


Article initialement publié sur Ranulfateuse

Ranulf
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le 11 févr. 2021

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