Après la tragédie qui, il y a quelques années, a occupé la une des media et fait disparaître de sa vie sa femme Jenny et ses deux petites filles May et June, Wade vit toujours dans sa maison perdue dans les montagnes de l’Idaho. Désormais âgé d’une cinquantaine d’années, il est atteint de démence précoce et perd peu à peu toute notion de son passé. Sa seconde épouse Ann devient sa soignante, mais se sent aussi investie d’un devoir de mémoire : plus Wade devient l’ombre de lui-même, plus Ann entreprend de creuser son histoire, reconstituant le drame et endossant de bien lourdes responsabilités.


L’âpre et grandiose coin de nature qui isole Wade, Jenny d’abord, Ann ensuite, n’en rend que plus écrasants les événements qui pèsent sur leur vie : dans un tel espace, tout devient à la fois dérisoire face à l’implacable indifférence du cadre où ils se débattent, et insurmontable tant ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Pourtant, leur combat perdu d’avance s’illumine d’une profonde humanité, d’autant plus émouvante que silencieuse et fragile : chaque personnage devient un cri muet, qui n’espère plus d’issue pour lui-même, mais trouve finalement une forme de rédemption dans son dévouement pour quelqu’un d’autre.


L’auteur nous livre des protagonistes complexes, qu’on se contentera d’accepter comme ils sont, sans jugement ni explication psychologique. Leur histoire se dévoile peu à peu, au rythme de leurs remords, de leurs souvenirs et de leurs reconstitutions parfois imaginaires d’un passé qui s’entremêle constamment au présent. Comment vivre avec la perte et la culpabilité, le doute et le dégoût de soi ? Comment se reconstruire sur des ruines ? Ici pas de mots ni de volonté consciente d’y parvenir : juste des réflexes de survie où finissent par refleurir des petits moments de grâce, où l’âme cherche la lumière dans un parcours semblable à un chemin de croix.


Paradoxalement, la lecture n’est jamais sombre ni pesante : l’on devine, l’on pressent, et l’on avance peu à peu, touché par le courage de ces gens ordinaires qui expient sans se plaindre, après avoir été abattus par des circonstances curieuses qui font paraître bien fragile la frontière entre le bien et le mal.


Idaho est une histoire troublante et étrange, qui fait hurler le silence accumulé sur des blessures anciennes et jamais cicatrisées, et brûler d’émouvantes flammes d’amour et d’humanité sur un terreau de désespoir résigné.


https://leslecturesdecannetille.blogspot.com

Cannetille
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le 10 mai 2020

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