Magnifique ode à la liberté sur fond d'Italie fasciste

En 1986, un vieil homme agonise dans une abbaye italienne. Il n’a jamais prononcé ses vœux, pourtant c’est là qu’il a vécu les quarante dernières années de sa vie, cloîtré pour rester auprès d’elle : sa Pietà et son chef d’oeuvre de maître sculpteur, que le Vatican a pris le parti de soustraire au monde et de tenir au secret, tant, sans que l’on sache se l’expliquer, la statue suscitait l’émotion et la polémique dans le monde. Qu’a donc de si spécial cette œuvre mystérieuse ? Et quel est le secret de son étrange influence, celé dans son tombeau de pierre en même temps que dans le silence de son créateur ? Nul ne saura jamais, à moins comme le lecteur, d’avoir accès aux pensées du mourant qui, en ses dernières heures, remet mentalement son histoire en ordre…


Né en France de parents italiens, Michelangelo, dit Mimo, perd son père lors de la première guerre mondiale. A douze ans, le garçon, atteint de nanisme, n’en dépasse pas moins déjà largement les talents paternels de sculpteur. Sa mère l’envoie donc chez son oncle, sculpteur lui aussi, à Pietra d’Alba. Exploité et maltraité par son parent plus assidu à manier la bouteille que les ciseaux, l’adolescent desservi par son physique n’est pas pris au sérieux lors de ses premières armes dans la profession. Mais, les chantiers de son oncle l’ayant envoyé chez les Orsini, les riches maîtres du village, il y fait la connaissance de Viola, la fille de la famille, qui, brillante et rêvant d’instruction et d’indépendance, se heurte elle aussi aux murs des préjugés inégalitaires, sexistes cette fois-ci.


Naît alors, entre Viola et Mimo qu’en apparence pourtant tout sépare, une formidable amitié qui, à défaut de jamais laisser la place à un amour impossible, malgré les séparations, les brouilles et les divergences de vue, ne cessera plus de lier ces âmes sœurs. Les deux devront se battre pour leurs rêves et leurs idéaux, Viola pour sa liberté de femme dans une société patriarcale qui la condamne à l’obscurité, Mimo pour celle de son art qui, en l’exposant bientôt à la lumière du succès, le place aussi au coeur des enjeux politiques du fascisme montant. « Toute frontière est une invention, il suffit de croire ». De la tyrannie intime à la tyrannie politique, cette foi leur vaudra chacun un chemin de croix aboutissant très symboliquement à la si dérangeante pietà… Une preuve s’il en fallait que, de nos jours encore, il n’est pas donné de bousculer les conventions structurant profondément la société, qu’il s’agisse de condition féminine, d’art ou de religion…


Campés avec autant de justesse que de tendresse, les deux magnifiques personnages de ce roman confirment la récurrence chez l’auteur des duos attachant platoniquement un jeune garçon malmené par la vie à une jeune fille plus mûre et plus forte au même âge. Un amour d’une grande pureté les lie, qui survit silencieusement aux circonstances faisant diverger leurs trajectoires de vie, et qui, avec toutes leurs failles et leurs complexités, les fait s’incarner dans une histoire lumineuse, habitée et universelle, un vrai moment de grâce et d’émotion, une ode à la liberté sur le fond historique d’une Italie à la fois terre de création artistique, de tradition patriarcale et religieuse, et, en ces années trente, d’invention du fascisme.


On ne se lasse décidément pas des beautés de plume de Jean-Baptiste Andrea. Sobre, poétique et d’une justesse parfaite, celle-ci souligne superbement l’universalité de ses histoires, entre amour le plus pur, sublimation artistique et préservation des idéaux fondamentaux. Coup de coeur


https://leslecturesdecannetille.blogspot.com

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le 14 sept. 2023

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