Iliade
7.9
Iliade

livre de Homère ()

Relecture d'adulte : L'alternance du surprenant et du fastidieux

Difficile de critiquer l'Iliade et cela pour de multiples raisons.
C'est bien entendu une œuvre avant tout mythique, or la puissance d'un mythe dépasse sa forme, sa narration, l'essence de son récit est si forte qu'elle dépasse toute formulation, même "originale". Le récit de l'Iliade comporte en soi, cette puissance, qui traverse le texte, le temps et les innombrables adaptations.
C'est aussi avant tout un poème épique écrit en vers et en grec ancien. Si selon la célèbre formule, "traduire, c'est trahir", traduire de la poésie, c'est détruire. Cependant comme un théâtre versifié, une épopée, bien qu'écrite en vers, narre aussi et cette narration peut être transmise en partie par la traduction. En partie seulement, or malheureusement, je ne lis pas le grec et suis donc incapable d'apprécier et de critiquer réellement cette oeuvre. Mais je vais tout de même me livrer à la critique d'une traduction.
Pour les cours que j'ai donnés à de nombreux élèves très jeunes (6ème), j'ai dû au fil des années, relire un certain nombre de fois des versions expurgées, raccourcies et simplifiées de cette œuvre. Paradoxalement, j'ai souvent préféré, à travers ces versions pour enfants, l'Iliade à l'Odyssée. Pourtant dans mes souvenirs, lors de mes lectures des œuvres complètes, enfants puis à peine adultes, l'Odyssée m'avait passionné quand l'Iliade m'avait ennuyé. Ce paradoxe me pousse aujourd'hui à me relancer dans une lecture complète des deux œuvres, en commençant par l'Iliade. Et que cette lecture est surprenante avec l'âge et le recul, de bonnes comme de mauvaises surprises.
Mes premières impressions après la lecture des cinq premiers chants :
Le début lui-même est surprenant et passionnant bien que régulièrement laborieux, un vrai début in media res, qui nous plonge directement en plein milieu d'une guerre déjà bien avancée, dont on ne nous résume guère les tenants bien qu'ils nous soient connus. Et très rapidement, nous avons affaire principalement à des discours, des disputes, où chacun s'insulte et se méprise. Agamemnon est détestable mais Achille n'est pas franchement sympathique non plus. Certes sa cause est juste, et on rejoint facilement son partie, mais son arrogance n'en est pas moins un peu dérangeante. Il en résulte cependant une véritable puissance dans son discours. Ces dialogues, malgré ce langage particulier, en restent souvent fascinants. Ces personnages lorsqu'ils parlent semblent posséder, d'où l'impression d'un discours qui n'apparaît pas totalement factices souvent lorsqu'ils expriment avant tout les émotions des personnages.
Rapidement cependant, les dieux interviennent dans ce monde de mortels, et c'est peut-être le point le plus dérangeant, car ils jouent un rôle trop décisif à chaque instant, et retourne sans opposition les situations. L'intrigue ne peut suivre son cours naturel car elle est toujours interrompue par l'intervention de dieux tout-puissants. Malgré sa terrible colère, Achille accepte finalement tout de suite la décision d'Agamemnon de lui prendre Briséis, car Athéna lui demande de ne pas l'attaquer physiquement. Certes, il n'insultera pas moins le roi, il n'en est pas moins qu'il n'hésite pas une seconde, n'essaye pas de négocier, ni ne se plaint à la déesse. Lorsqu'un dieu intervient directement auprès des mortels, la donne change d'un coup, sans logique véritable. Et leurs interventions sont perpétuelles, lors des combats, lors des querelles, lors des prises de décisions. De plus, leurs actions n'apportent pas non plus des rebondissements passionnants, car leurs actes se révèlent très souvent sans réelle efficacité car annulés peu de temps après par ceux d'un autre dieu.
La lecture est d'autant plus fastidieuse qu'outre une intrigue perpétuellement brisée, et rallongeant incessamment la guerre de Troie, il n'est guère aisé de comprendre leur motivation. Trop de parti pris nous sont affirmés sans explications, ni logiques évidentes. Agamemnon est par exemple décrit toujours de manière extrêmement méliorative, il semble l'un des mortels préférés de nombreux dieux, alors qu'il n'apparaît n'avoir aucune qualité réelle, il est égoïste, cupide, irrespectueux et ne semble pas véritablement courageux non plus. Si ce n'est son apparence, on ne comprend guère l'intérêt que lui portent les dieux. Le rapport des soldats grecs à ce roi n'en est pas moins étrange, ils semblent presque tous orgueilleux, assez rétifs, et personne ne semble apprécier l'énergumène, pourtant personne, si ce n'est Achille, ne semble remettre en cause son statut de plus grand roi, ni ne songe à lui désobéir.
Lorsque les dieux se retrouvent cependant entre égaux, rien qu'entre eux, la situation est beaucoup fascinante, Zeus attire la sympathie par les oppositions qu'il rencontre et son rôle. La relation conflictuelle entre Héra et son mari amène une véritable tension et renforce notre intérêt pour le fils de Cronos.
Outre la narration particulière précédemment mentionnée quelque peu gênante, certains passages sont véritablement laborieux. Cinq pages environ sont consacrées à citer par exemple tous les chefs de guerre grecs présents, les noms s'enchaînent avec de rapides anecdotes de quelques lignes pour les présenter et situer leur ville d'origine, il est impossible bien entendu de les retenir ni de se passionner. Bien entendu, la puissance des vers et de la poésie originelle a totalement disparu dans la traduction de ces passages. Certes, on prend conscience de l'ampleur de cette armée grecque qui assiège Troie, mais cette prise de conscience intervient de manière bien trop laborieuse pour ne pas ennuyer le lecteur, il faut vraiment se forcer pour ne pas sauter ces quelques pages.
Parallèlement, dans ce début, l'intrigue troyenne se concentre davantage sur Pâris (nommé aussi régulièrement Alexandre, sans que je ne sache véritablement pourquoi), Hector, Priam et Hélène. Et il faut avouer qu'enfin apparaissent des personnages vraiment sympathiques, chez les grecs, seul Ulysse est intrigant, lors des quelques passages lors desquels il intervient. Hector semble de loin, le seul personnage pleinement admirable, alors qu'on rêve de voir le lâche et incapable Pâris mourir. Mais même lorsqu'il le devrait, que même les interventions des dieux ne lui permettent pas de vaincre Ménélas tellement il se révèle un piètre guerrier, il n'en est pas moins téléporté pour éviter d'être tué... Priam est un personnage intéressant, sympathique, sa gentillesse envers tout le monde, semble malgré tout le rendre faible. Il n'exprime aucune rancune envers personnes, et admire même tous les chefs grecs qu'il ne fait qu'entre-apercevoir. Un personnage aussi sympathique qu'agaçant. J'ai tout de même l'impression qu'il manque un peu d'authenticité, surtout si on le compare à Hector. Celui-ci n'hésite d'ailleurs pas à reprocher à son frère à la fois son caractère, et son acte. Seul Hector semble finalement porter un regard juste jusque-là sur ceux qui l'entourent. On ne peut lire ce récit, sans être influencé par notre connaissance de celui-ci, véritable socle de notre civilisation, son cruel avenir nous rend ce personnage d'autant plus sympathique qu'il est tragique.
Enfin pour parler du style, on s'habitue aisément à l'archaïsme des répétitions (épithètes homériques...) propres à ces oeuvres orales, on est par contre agréablement étonné par la crudité et la violence des descriptions des scènes d'action qui se révèlent très cinématographiques. La violence morale de l'époque est par contre un peu plus dérangeante. J'aime les morales anachroniques qui me permettent de saisir la variété du possible champ humain, j'aime suspendre quelque peu mon jugement face aux valeurs étrangères d'une autre civilisation, d'un autre temps, j'aime même à les comprendre aussi immorales m'apparaissent-elles. Et pourtant, même moi, j'ai un peu de mal à apprécier les enjeux moraux qui habitent ces grecs. Il y a une conscience très réaliste des enjeux de cette guerre chez tous les soldats, tous viennent pour piller, s'enrichir. Et tous restent, parce que quand même, on a pas fait tout ce chemin pour repartir sans avoir voler et violer la femme d'un troyen. Après un tel voyage, c'est la moindre des choses... Certes, ils recherchent la gloire personnelle et guerrière, voilà une valeur anachronique, que j'aime chercher à comprendre. Mais même cette recherche de gloire semble régulièrement peu de chose face au gain matériel. Il devient difficile de compatir au personnage. Lorsque Achille critique l'égoïsme, la cupidité et le désintérêt d'Agamemnon pour ce peuple, on le rejoint. Mais lorsque sa colère porte finalement sur l'enlèvement de Briséis, on est assez déçu de voir que ce qui l'énerve finalement plus, c'est qu'on lui prenne sa part du butin, qu'il a méritée ! Je ne sais même pas s'il s'agit vraiment d'orgueil ou simplement de la perte du butin dont il est question avec Achille. Je peux accepter facilement l'orgueil, il y a une certaine grandeur dans celui-ci, mais l'attachement à une part du butin, ça me semble tout de même terriblement petit et mesquin. Dans l'Odyssée, le doute n'est jamais permis quant à l'essence de la motivation qui habite Ulysse, dans l'Iliade, le doute est là...
Le chant V contient cependant deux éléments particulièrement intéressants. Tout d'abord, la description de la bataille entre les grecs et les troyens est particulièrement détaillé, on ne suit pas qu'un personnage ou un groupe de personnages, mais on juxtapose les combats de nombreux personnages bien que certains soient plus développés (Enée, Diomède....). Particulièrement longue, cette bataille accentue encore l'ampleur de la bataille, d'autant plus quand on la remet en contexte, la guerre dure depuis dix ans et nous ne suivons finalement qu'un très laps de temps, seuls quelques jours se sont écoulés depuis le début de l'histoire et nous sommes déjà plus proche de la fin de la guerre que de son début. Et les morts de héros s'accumulent rien qu'en cette bataille. Heureusement que la Grèce semble compter à cette époque des milliers de héros pour que chaque jour puisse apporter sa pelleté de cadavres importants. Enfin, lors de cette bataille, les dieux interviennent comme d'habitude, mais un élément vient tout de même rendre leurs interventions moins inintéressantes. Quand Aphrodite, mère d'Enée, intervient pour sauver son fils blessé et l'emporter loin du combat, Diomède suivant les conseils d'Athéna blesse la déesse qui ne peut que fuir. Une distinction apparaît alors entre les dieux guerriers (Athéna, Arès) et les autres dieux. Cette anecdote est l'occasion de nous rappeler brièvement tous ces moments durant lesquels les dieux ont été blessés par des mortels, notamment le poids d'Héraklès ayant blessé déjà plusieurs dieux, bien qu'ici Diomède ne peut blesser la déesse, puis Arès que grâce aux interventions d'Athéna. Ainsi, la quasi-omnipotence des dieux ou du moins leur domination absolue sur les mortels est remise en cause et change totalement la perspective des rapports entre les dieux mythologiques et les mortels au-delà même de la guerre de Troie. Et à travers Aphrodite et son attachement à son fils Enée, les dieux apparaissent beaucoup moins déconnectés des mortels, ne les considérant pas seulement comme de divertissants pions dans un jeu d'échec divin. Ce passage lors de la bataille est d'autant plus important que si le réalisme, la violence et les hécatombes lors de cette bataille rendent sa description impressionnante, ces aspects sont tout de même fortement atténués par la position de cette bataille dans le récit. On sait bien que la bataille n'aura pas à ce moment-là de l'histoire de véritable impact sur le déroulement de la guerre.


Durant les chants suivants, la bataille se prolonge sans apporter de véritables nouveautés, c'est le monde des dieux qui surprend cette fois avec une mise au point dantesque de Zeus. Il s'impose par son discours à tous les dieux, leur ordonnant de garder leur distance avec cette guerre, et met au défi l'ensemble des dieux de s'unir, d'oser lui désobéir et de l'affronter, leur promettant une raclée monumentale. Entouré de cette cour piaillant et venant régulièrement se plaindre auprès de lui, ce discours autoritaire apparaît comme une véritable respiration et place agréablement un personnage au-dessus de la mêlée. Je ne me souvenais pas d'une telle prédominance de Zeus, son titre de roi est bien plus qu'une fonction, il semble plus puissant que tous les dieux réunis. En cela, la liberté qu'il laisse finalement aux autres dieux, son retrait régulier, devient signe d'une grandeur tout autre. Cette scène change véritablement ma perspective sur son rôle lorsqu'il ne s'impose pas par la force.


(Critique en cours, inachevée)

Vyty
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le 12 nov. 2020

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Vy Ty

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