Intentions
7.7
Intentions

livre de Oscar Wilde (1891)

Point de vue sur l'Art


"Intentions" est un court recueil de quatre essais, chacun donnant, à sa manière, un aperçu des idées d'Oscar Wilde sur l'Art.


"Le critique artiste" aborde le sujet de la critique en art sous la forme d'un dialogue entre deux personnages. Il commence par y étaler les arguments communs à son encontre -par exemple, le plus bateau, qu'elle est le fruit de gens incapables de créer eux-mêmes...- avant de les balayer sans merci. S'il n'y a rien de surprenant à ce que Wilde, lui-même critique pour divers journaux et revues, prenne la défense d'un tel exercice, ce qui est frappant est la vision radicale qu'il en donne. Pour lui en effet, faire des critiques aide non seulement à enrichir l'Art, le poussant de l'avant en le forçant sans cesse à se remettre en cause, mais est en plus tout un art en soit ( "une création au sein de la création" ), juger d'une oeuvre demandant plus de culture et d'objectivité, d'ouverture, que d'en créer une. Le critique est donc aussi, à sa façon, un artiste; et plus enviable avec cela !


Wilde World


Tout le monde connaît la thèse paradoxale d’Oscar Wilde : c’est la vie qui imite l’art et non l’inverse. Mais peu de lecteurs connaissent ses Intentions, ouvrage actuellement réédité en livre de poche. En quatre articles aussi concis qu’incisifs, l’auteur y défend l’idée que la critique est un art à part entière, et se montre véritablement artiste dans ses critiques.


Une fois le silence fait autour de la personnalité tapageuse de Wilde, il devient possible de goûter la consistance paradoxale de ses idées, de mordre dans la tendre chair de son style distingué, sachant viser juste sans avoir l’impudence de viser droit. Le titre des différents articles suffit à donner le ton : Le déclin du mensonge ; Plume, pinceaux, poison ; La critique est un art ; La vérité des masques. Chacun recèle une idée lancée à contre-courant du sens commun, Wilde opposant sa vivacité d’esprit à l’inertie de l’opinion partagée.
La nature artificielle


Dans le premier, l’auteur met en scène un dialogue entre Cyril et Vivian, vieux procédé littéraire, réanimé ici par la jeunesse des acteurs et l’introduction, au sein de la discussion, d’un essai que Vivian lit à Cyril (et qui n’est autre que le déclin du mensonge). En habile défenseur d’un dandysme inavoué, Vivian expose la supériorité de l’artificiel sur le naturel, sous la forme d’une ironique démonstration, car l’argumentation se veut bien sûr convaincante, mais ne cède à aucun formalisme. Dans le deuxième essai, Wilde met en pratique les préceptes qu’il expose ensuite dans la critique est un art. Profitant d’une véritable empathie avec la personnalité qu’il explore (Thomas Griffiths Wainewright), le critique se fait à la fois confident et confesseur de cette vie tourmentée. Il contourne avec grâce les écueils ordinaires de la biographie prosaïque, sa plate objectivité et sa soumission à la chronologie. Il s’attache en revanche à en extraire les singularités, résumées ici dans le titre, et n’ouvre les portes de la psychologie qu’avec les clefs de l’esthétique.
Les ficelles de l’artifice


La forme dialoguée, reprise dans la critique est un art, n’est en rien conventionnelle. Elle est au contraire l’envers ironique des dialogues de Platon, modèle traditionnel du genre. Evidemment, Wilde ne fait aucune mention de ce maître, mais ses thèses se comprennent par contraste avec celles du philosophe.


Chez Platon, les dialogues nous mènent du bavardage de l’ignorant au silence du sage, la vérité ne s’offrant qu’à la contemplation intérieure. Au sommet de la hiérarchie des êtres, les Idées pures, sur le modèle desquelles est formée la nature, elle même produisant par dérivation des perceptions. A chaque niveau inférieur que nous franchissons - et nous naissons au plus bas - nous sommes de plus en plus susceptibles de nous tromper, nous perdant l’éternité du modèle pour la fluidité du monde éphémère, l’illusion étant notre élément naturel.


Chez Wilde, le dialogue commence par une lecture silencieuse pour se poursuivre en badinage érudit. En défendant la puissance du mensonge et de l’artificiel, Wilde met tout le système platonicien sans dessus dessous. Ou plutôt si : au dessus sont les Sensations pures, ensuite vient la Nature, pauvre imitation de ces sensations. Quant aux idées, elles ne sont que les signes par lesquels nous naviguons au sein de cette nature. Ce que l’artiste perçoit dans sa contemplation est plus vrai que ce que la nature commune nous laisse entrevoir. Et celle-ci finit toujours par se plier au regard de l’artiste, à celui qui découvre intérieurement les sensations pures, catégories ultimes de la réalité. Vu aussi systématiquement, le renversement que Wilde opère semble arbitraire. Mais laissez sa prose ensorcelante agir, laissez son humour effacer le vernis de méfiance qui nous reste, et vous serez convaincus.


Portrait pour trait
Quant à l’idée selon laquelle la critique est un art, nous pouvons mieux en mesurer la portée en la comparant à la démarche deleuzienne, pour qui philosophie et histoire de la philosophie ne se distinguent pas absolument. L’histoire de la philosophie est semblable à l’art du portrait : il ne s’agit pas d’imiter, mais de produire la ressemblance, même par les voies les plus indirectes. Le peintre ne prélève jamais un instantané de réalité, mais cherche au contraire à faire surgir sur la toile l’épaisseur temporelle capable de révéler l’essence des êtres. Le portrait réussi n’est pas forcément celui qui mène à une reconnaissance civile, mais celui-ci qui dégage des traits superficiels une connaissance plus profonde de l’individu, tel plissement de lèvre pinçant telle corde de l’âme, tel froncement de sourcil faisant vibrer telle inquiétude de l’esprit. Ainsi, de même que le tableau est la rencontre intime de deux individus, la critique ne doit pas se limiter à une stricte objectivité (modestie qui la désert au lieu de la préserver), mais exprimer la mutuelle capture de deux subjectivités, être le lieu d’exploration du génie d’un auteur, ainsi que le creuset d’élaboration du style d’un autre. C’est à ce prix que la critique se fera elle-même littérature, qu’elle deviendra un art à part entière, comme le montre l’exemple magistral d’Oscar Wilde.


Des textes à savourer doucement qui, avec "Le déclin du mensonge" et "Plume, pinceau et poison" -critiqués séparément- constituent un bon aperçu de sa vision de l'Art.
On s'amusera au passage des jugements au vitriol portés par l'auteur sur des écrivains tels que Maupassant, Zola, Daudet ou Paul Bourget.

HenriMesquidaJr
8
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le 13 déc. 2019

Critique lue 157 fois

HenriMesquidaJr

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