Je m'en vais
6.9
Je m'en vais

livre de Jean Echenoz (1999)

Voici un cas intéressant : ce livre est un mal nécessaire.

Constatez donc. Il n'y a pas d'histoire, les personnages sont des vous et moi en plus ternes, le style est pour le moins quelconque, la narration dérive tout les deux paragraphes tellement elle semble peu intéressée par ce qu'elle raconte, l'ambiance est celle d'un fast-food glauque et fauché, l'humour est gêné, il n'y a pas de suspense, il n'y a pas de rythme, il n'y a pas de jeu de style, il n'y a rien, rien, rien. C'est du rien en conserve.
Et pourtant, si ce livre n'existait pas, il manquerait quelque chose dans la littérature moderne. Même si ce quelque chose à la forme, l'allure et le goût du néant.

Pour la simple et bonne raison que tout est intentionnel. Toute cette vacuité, cette absence d'intérêt, ce manque de fond et de forme, voilà justement les thèmes de l'ouvrage, qui se veut le reflet de notre époque, et de nous même. Un récit d'aventures sans héros, sans péripéties, sans trésor, pour une époque froide, dans laquelle s'épanouit une littérature du vide.

Et dans cette optique, le livre est un succès. C'est d'un creux glorieux. Paru aux éditions de Minuit, celles des contemporains, l'auteur donne un nouveau souffle en même temps qu'il sonne le glas du nouveau roman. Pourquoi écrire des oeuvres pleines de sens dans un univers qui n'en a aucun ? Pourquoi verser des larmes quand la vérité sera toujours avec un texte sec et infécond ? Quand le seul message d'un écrit est qu'il n'en a pas, on arrive peut être au bout de la démarche d'un écrivain. La dernière côte avant les océans solitaires.

Et pour un jeune homme comme moi, qui ait dévoré mille univers fantastiques, admiré mille splendides dilemmes humains, suivi mille raisonnements idéalistes, tout cela autant que j'ai pu à travers des livres pleins de beauté et de sagesse, cet infini d'inanité superficiel est troublant. Serait ce là un nouvel objectif pour la littérature ? Enlever tout le vernis de la fantaisie et de la grandeur, voire de la noirceur et de l'humour, pour ne révéler que la morne et fade réalité ? Je peux comprendre l'intention, mais difficilement la soutenir. Jusque là, presque tout les textes que j'ai lu, aussi proche du réel, maniéré dans l'expression ou monotone dans la narration qu'ils soient, tous servaient un but interne, une intrigue, un personnage, un style, un concept. Désire-t-on vraiment voir les histoires balayées par la constatation de la futilité ?

Heureusement, et à part dans les cas involontaires de mauvais écrivains ou de génies novateurs, ils n'en sera pour l'instant encore rien. Echenoz n'a pas pour volonté de montrer une voie, juste de faire un état des lieux. Et quels lieux ! Soyons donc rassurés, les figures de styles poussives ( "les vitres embuées se taisaient sous les réverbères" ), l'art privé de substance, l'amour machinal, les digressions envahissantes et les séances de masturbation glaciaires n'ont pas pour vocation de devenir l'étalon du roman de l'avenir. Nous pouvons donc les laisser où ils sont, sous la couverture immaculée de l'oeuvre-abîme, puis quitter notre bibliothèque, satisfaits de posséder un si bel exemple de non-existence.

Alors me demanderez-vous, pourquoi en parler ? Pourquoi perdre du temps à blablater sur une oeuvre stérile, alors que personne ne lira jamais cette critique ( sérieusement, vous l'avez lu ? Trouvez un hobby ! ) ? Alors, en plus, qu'on arrive bientôt à court de synonymes pour "rien" ?
Parce que ce livre à un effet suffisamment déstabilisant sur moi pour me faire réfléchir aux notions même de littérature. Que cela prouve quelque part qu'Echenoz, en m'infligeant ces quelques heures d'ennui, à réussi son coup et a fait sortir quelque chose du désert. Et qu'en conséquence, perdre mon temps était surement le meilleur moyen d'honorer les échos du vacuum qu'est ce livre.

Pour que, même si sèche de toute encre, aucune plume ne soit levée vraiment en vain.
Kevan
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le 27 févr. 2015

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Kevan

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