Evangelion a toujours tendu un bras vers le sublime. Un bras cassé, hésitant, aux mains sales, mais qui avait le mérite d'exister. Il est dommage de voir qu'au bout de ce bras, il n'y a plus qu'un long doigt.

Qui accuser ? L'auteur, qui aurait encore perdu ses prozacs en cours de route ? Les méchantes agences capitalistes ( toujours elles ), désirant que la série ait besoin d'un rerebuild, afin de continuer à écouler leurs produits dérivés, chaque sortie evangelionnesque étant un véritable évènement commercial au Japon ? Les membres de l'équipe de tournage qui auraient voulu satisfaire le fan hardcore en mettant autant de vacuité dans le film que dans la série originale ? Le producteur, qui n'a pas sourcillé quand il a lu le scénario ? Le public et sa vénération inconditionnelle pour la série malgré les erreurs de cette dernière ? Peut être un peu tout le monde. Peut-être personne. Peut être que ça s'est fait juste comme ça, sans trop réfléchir.

Comment expliquer autrement le gouffre séparant le second film, véritable réussite mêlant personnage profonds et attachants, beauté visuelle, trame efficace, scènes amusantes, fond et réflexion solide, et le troisième film, gros gloubi -boulga impersonnel et incohérent ?

Commençons par ce qui choque le plus : un saut de 14 ans dans le temps. Boum. Comme ça. Parce que. Ça n'apporte strictement rien au schmilblick, sinon permettre de faire apparaitre de nouveaux design de personnages qui feront la joie des cosplayeurs les plus fanatiques. Dites bonjour à Misato engoncé dans un uniforme de général anglais du XIXeme siècle et à lunettes noires, à Ritsuko aux cheveux courts ( sacrilèèège ), à une fille aux lèvres terrifiantes, et quelques autres. Voilà. En 14 ans, le troisième impact à détruit une autre moitié de monde et tous les bons stylistes. On en saura pas plus.
Mais alors, rien du tout, vraiment. Shinji est rapatrié depuis une croix dans l'espace et est haï par ceux là même qui le soutenait avec ferveur. Pourquoi comment ? Joker. Des anges hantent la surface de la terre, transformée en espèce de désert post-apocalyptique. D'où sortent ils ? Bof. L'humanité survivante erre à travers les décombres grâce à une flotte aérienne. On peut avoir des précisions ? Non. Les pilotes d'Eva ne peuvent pas grandir. Ah bon ? Eh oui. On a la nette impression que l'auteur a oublié d'inclure ses notes de travail au film, laissant le spectateur accepter dubitativement tout ce qui lui est présenté comme une évidence dès les 15 premières minutes.
Mais le pire dans tout ça, c'est bien évidemment la ruine de la continuité. Le Rebuild avait jusqu'à maintenant pris le parti de suivre un lien de cause à effet logique. A part une mystérieuse et d'ores et déjà inutile clé de Nabuchodonosor, on évitait, contrairement à la série, de faire planer mille menaces nébuleuses qui ne donnait au final rien de concret. Mais les personnages suivaient une évolution intéressante, nouaient des relations importantes pour leur psychés, agissaient selon un schéma narratif cohérent. Oubliez tout ça. Tout le travail du second film sur l'accession de Rei aux sentiments et à l'humanité se révèlent maintenant parfaitement inutiles, Rei étant morte dans l'Impact et ayant été remplacé par un clone. Vous vous souvenez de la très belle scène planante où Shinji sauve Rei en lui faisant prendre conscience de la valeur de l'individualité ? Et ben elle ne servait à rien. C'était que la scène principale du second film, et l'un de ses principaux enjeux, hein, pas bien grave. D'ailleurs, si vous vous étiez attachés au Shinji faisant face à ses complexes et à ses peurs qu'on voit dans ladite scène, dommage. Faire un bond dans le futur est apparemment un bon prétexte pour gommer tout les acquis d'un personnage ( j'aurai cru l'inverse, mais bon... ), puisque Ikari junior est plus larvaire et geignard que jamais. Quand à Asuka et Mary, elles ont profité de ces longues années pour perdre, respectivement, un oeil et le seul élément caractéristique du nouveau personnage, son obsession pour les odeurs. Elles ne sont plus maintenant qu'un duo en combinaisons moulantes sans importance dramatique ou scénaristique. Pour Mary qui n'a pas eu le temps d'être développée, c'est dommage, pour l'excellent personnage d'Asuka, c'est carrément triste.
Évidemment, plus de SEELE ( Anno a dû se rendre compte que lui même ne savait pas en quoi ses plans étaient opposés à ceux de Gendo ), plus de NERV en tant que force millitaire, plus de Kaji ( comment ? Où il est passé ? Mais que voulez vous que j'en sache ? ) Plus la même psychologie que ce soit pour Gendo ou pour Misato, plus de world-building, même plus de lien logique avec la dernière scène du second film. Bref, rien de ce qui fait une suite ou une partie d'un ensemble. Prenez n'importe quel épisode ou même fan-fiction d'Evangelion, et vous pouvez dire que ce film en est la suite. Avec la même cohérence.

Enfin, à part ça, elle vaut quoi, l'histoire ?
Ben, c'est toujours un peu pareil. En l’occurrence, au lieu de reprendre les évènements du film "end of Evangelion" comme annoncé ( et comme il aurait été logique de le faire ), le scénario, après la scène d'ouverture présentant le nouveau crew de Misato, la WILLE, se base sur un seul épisode de la série, basé sur Kaworu.
Misato fait kidnapper Shinji qui prenait des vacances bien tranquilles dans une grosse croix en orbite autour de la terre ( donnez-moi d'autres raisons pour lui d'être là-dedans... ). Bien que ce soit eux qui aient risqué leurs vies pour le ramener, tout le monde parmi les survivants humains prend grand soin de montrer à Shinji qu'on ne veut pas de lui et qu'il aurait mieux fait de rester roupiller dans sa boite. Après un combat sans enjeux contre un ange de passage, la flotte de la WILLE est attaqué par Rei qui vient kidnapper Shinji ( encore ). Dans les quartiers en ruine de la NERV, Gendo dit à son fils qu'il aura à nouveau besoin de lui, mais oublie, hélas, de préciser pourquoi. La nouvelle Rei est de nouveau complètement autiste, malgré les efforts de Shinji. Fuyutsuki, mon héros, a droit à SA PROPRE SCÈNE !!!! seul à seul avec Shinji, où il clarifie le seul point de l'intrigue qui n'était un mystère pour personne, la nature des Evas. Kaworu, célèbre cliché du type lunaire et impénétrable, devient le seul ami du jeune garçon, avec qui il noue une vraie relation. Kaworu, précisons-le, est le même que dans la série : il n'a pas de vraie personnalité, mais plutôt une accumulation de stéréotypes japonais qui font rêver les filles sur le papier mais leur feraient prendre leurs jambes à leurs cous dans la réalité. C'est plutôt sympa, il y a un petit côté routine attachant, Kaworu n'est pas trop lourdingue dans son rôle de gayfriend, et offre de jolies scènes de piano. Lui et Shinji partent explorer de grosses cavernes pleines de crânes géants, pour... sauver le monde ? Ce n'est pas super clair, Kaworu ayant embarqué Shinji dans cette galère sans trop s'expliquer. Mais au fond de la caverne, coup de théâtre, ils ne trouvent pas Adam (anges ), mais Lilith (humains ) ! Ou l'inverse. Moi aussi, j'ai eu le souffle coupé par cette révélation. Asuka et Mary, se balançant des vannes comme dans un buddy-movie américain, surgissent alors de nulle part et s'ensuit un duel d'Evas un rien confus. Kaworu, qui s'était stupidement mis un collier explosif autour du cou ( ?!!? ) en a la tête qui explose dans l'indifférence quasi-générale. J'ai envie de dire que c'est bien fait pour lui. Le monde va encore faire boum, mais suite à une série d'évènements incluant tout les personnages , ça n'arrive pas. Je serai bien incapable de dire si cela gêne ou non le plan de Gendo, qui comme d'habitude a l'air vaguement satisfait. Shinji, au fond du trou et catatonique, est récupéré par Asuka qui l'engueule puis l'emmène vers la WILLE, suivis par Rei, tant qu'à faire.
Donc, ce film, c'était : un jeune héros doit empêcher l'apocalypse qu'il a lui même provoqué pour la seconde fois de rendre la terre plus anéantie qu'elle ne l'a déjà été les trois fin du monde précédentes. Woh. Ça, c'est de l'enjeu.
Et c'est en tentant de relater des scénarios comme ça qu'on se rend compte que le concept de spoiler est très, très relatif.

Bref, il y a plus une succession de scènes nawaks qu'une véritable histoire. Et pour le reste ?
Le reste est mitigé. Les décors sont magnifiques, jouant la sécheresse et la désolation là où ils s'attachaient aux bâtiments, au ciel, ou à la nature. Les design des nouveaux persos et mechas sont, par contre, à s'arracher les cheveux de mauvais goût. Les Evas, notamment, commencent à ressembler à des mechas ordinaires, mais montés par un enfant de cinq ans très perturbé. Et les batailles sont en CGI. On le sait, la mode du combat en CGI est un effet horrible provoqué par l'engouement des graphistes, contre toute logique, pour les nouvelles possibilités offertes par cette technique, et, à moins qu'un fan finissent par commettre un attentat contre les studios en réclamant leur abandon, il faudra encore le supporter quelques années. N'empêche que c'est flou et moche. Si il y a parmi les lecteur un volontaire pour l'attentat...
L'ambiance est loin de l'intensité, de la mélancolie ou de la bonne humeur qui gouvernait le second film. D'abord parce qu'on est trop occupé à se gratter la tête en cherchant à comprendre quelque chose pour s'en préoccuper, mais aussi parceque tout est plus oppressant, plus glauque, plus bizarre. Seule l'accalmie au milieu du film, si elle peut paraitre dispensable, offre quelques scènes où l'atmosphère prend un peu le temps de toucher plus profond que notre bouton cérébral "jolies couleurs qui bougent".
La musique est très bien. Sans rire. Super. Elle accompagne correctement les scènes, est placée avec un certain gout, apporte une densité dont l'oeuvre manque désespèrement... Le générique, surtout, est une très belle chanson mélancolique qui n'a rien à voir avec quoi que ce soit dans le film, mais qui reste une très belle chanson mélancolique.

Surprenant, déstabilisant, désacralisant, foutdemagueulisant, ce troisième film est un ovni. Rien ne le laissait prévoir, et il ne semble même pas appeler de suite. Réduisant à néant tout les progrès des films précédents qui avaient fait de la série Evangelion une oeuvre sérieuse et profonde et non plus un nébuleux et pesant développement sur fond de fan service. Je ne suis pas fan de ceux qui affirment que la série n'a aucun sens sinon celui de montrer l'inanité du comportement Hotaku ( ça ce rapporte un peu à dire "il est idiot de faire des analyses, puisque c'est la mienne la bonne " ). En admirateur de la Suisse, j'avais pris le parti de considérer qu'il y avait un peu de ces deux aspects. Je commence à craindre qu'il n'y ait plus ni l'un ni l'autre. L'avenir et le quatrième film nous le diront. Mais, s'il vous plait, empêchez les auteurs de le faire sous la forme d'un flash-back de 50 ans dans le passé où Shinji est un sac à main télépathe et Asuka un malaise quant à la peinture verte. Ils en seraient capables...
Kevan
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le 21 déc. 2013

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Kevan

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