Je ne m'étais guère attardé sur le film avec Will Smith qui, avec une aisance tout hollywoodienne, arrivait à perdre quasiment tout intérêt jusqu'à une fin téléphonée au possible. Pas désagréable pour autant, bien sûr, j'avais même passé une très bon moment devant. Le problème, c'est que lorsque je lisais encore et encore que "Je suis une Légende" était un bouquin véritablement culte, chef-d'oeuvre du genre, j'avais un peu plus de mal à l'imaginer.
Bien évidemment, je pense que le seul point commun entre le film et le livre, c'est le titre. Voilà. Et on réalise bien à quel point il est important de s'éveiller un peu au-delà des frontières rassurantes mais extrêmement contraignantes des films hollywoodiens, tant cette histoire est massacrée par le processus. Parce que oui, on a avec ce livre effectivement une oeuvre cultissime. Et pas besoin d'une culture dégueulante pour le voir: le bouquin de Matheson est impeccable et on devine bien vite qu'il allait devenir un exemple pour beaucoup, beaucoup d'histoires.
Le personnage de Robert Neville est extrêmement attachant, et c'est évidemment le premier attrait de ce bouquin où vous le devinez, on va expérimenter la vraie solitude. Eh bien c'est très réussi, car Matheson fait le choix de ne pas maquiller cette solitude avec une avalanche de lyrisme ou de scènes hautement graphiques. Au contraire, la solitude de Neville est très contagieuse tant ses petits échecs s'amoncellent en perspective de certaines angoisses insondables. Et au gré des pages, on est parfois excités, parfois abattus, selon ce qui marque notre malheureux héros.
C'est aussi, je pense, un des premiers livres à réellement revisiter la créature du vampire. Et attention, je parle d'une réelle "revisite", une réinterprétation majeure. La plupart de la littérature vampirique, jusqu'à nos jours, se contente globalement d'un certain classicisme, sans pour autant s'ôter une once d'originalité. Mais vous voyez ce que je veux dire: les vampires d'Anne Rice ou du Salem de Stephen King sont globalement assez respectueux de l'oeuvre de Bram Stoker. C'est bien loin ici de l'explication microbiologique de Richard Matheson, qui s'amuse d'ailleurs à relever chaque élément classique du mythe pour tenter une explication physiopathologique (l'ail, la croix, le pieu...).
Le rythme et la longueur du roman sont d'ailleurs bien calculés: on le dévore, quasiment en une fois, et sans s'ennuyer une seule seconde. Le livre est d'ailleurs ponctué de véritables épiphanies: la rencontre avec le chien est effectivement un moment exceptionnel. L'excitation de la découverte du fonctionnement du vampire est elle aussi bien présente, et on suivra le récit avec une fougue bienvenue.
La fin est quant à elle tellement plus couillue que celle du film que je préfère ne pas trop en dévoiler. Et toutes les remarques qui me viennent, notamment la comparaison à certaines oeuvres assez connues, me trahissent; et je préfère donc simplement notifier que c'est un grand moment du roman, tout à fait intelligent et clôturant cette histoire avec la même exemplarité.
Très honnêtement, la lecture de ce bouquin "culte" fut exceptionnel. Un vrai plaisir, et je ne peux m'empêcher (c'est probablement influencé par la connaissance de son impact) de constater que c'est une oeuvre "type", l'oeuvre de s-f/imaginaire exemplaire, rêvée. Il y a tout, dans ce bouquin, au bon dosage. Je n'irais peut-être pas jusqu'à dire que c'est une lecture qui a changé ma vie: probablement pas. Mais à coup sûr, c'est une oeuvre majeure qui vaut très largement le détour.