Jeunes années par Feuardent

Le sujet principal de cette autobiographie est l’éveil au monde d’un individu dont l’extrême sensibilité et une l’éducation religieuse rigoriste ont fait un inadapté social.

Comment vivre en société lorsqu’on est foncièrement différent des autres ? Non pas membre d’une minorité visible (thème archi-rebattu) mais simplement rêveur, poète, improductif…

Cette question n’est pas traitée par la société actuelle, y compris dans son art. Ce problème n’est pas reconnu, c’est comme s’il n’existait pas. Aussi, les lecteurs qui se sentent concernés seront comblés par ce livre parce qu’il les entend. Ils trouveront en Julien Green un semblable et dans ses pages une reconnaissance de leur mal. Quand la littérature devient un refuge des laissés pour compte, quand elle est même, dans un monde hostile, l’unique refuge, alors son utilité n’est plus à démontrer. L’intérêt de « Jeunes années » est en partie là dedans.

Elle est aussi dans son inactualité, le monde décrit nous est parfois si lointain qu’il se pare des séductions de l’exotisme.

La contradiction fondamentale de la jeunesse de Julien Green (le livre s’arrête quand il a 20 ans) est sans doute la cohabitation chez lui de convictions religieuses puritaines et d’une sensualité exacerbée naissante (portée qui plus est vers les hommes).

On ne peut à l’heure actuelle qu’être surpris par l’ampleur du non-dit sur la sexualité dans cette France catholique du début XXeme (mais peut-être que la famille Green en rajoute elle sur ce sujet). Il est tel que Julien Green jeune homme n’identifie même pas la nature des pulsions dont il est l’objet.

Pour autant, l’homme qu’il est devenu n’incrimine pas sa foi juvénile. Dans bien des cas, il souligne sa naïveté mais sans jamais la renier. Encore un aspect inactuel et passionnant du livre : la valeur implicite donnée à la religion par l’absence de condamnation, alors même qu’aujourd’hui la condamnation serait automatique. Quand le récit s’interrompt, Il n’a pas tranché entre les sens et le catholicisme : aussi contradictoires soient ils les deux lui sont nécessaires.

Quoiqu’il en soit il n’est pas dans le registre du jugement, de la compréhension théorique mais dans la simple description de ses affects. Sa littérature est sensible, psychologique mais pas intellectuelle.

En attendant, le rôle d’intermédiaire entre le désir sexuel et le jeune homme qu’il était fut presque entièrement tenu par l’art, en commençant par le traumatisme du tableau qu’il voyait régulièrement lors de ses promenades enfantines au musée du Luxembourg et qui montrait au premier plan deux esclaves nus, jusqu’à la quasi-révélation qu’il eut devant un bronze Pompéien dans un musée à Naples alors qu’il avait 20 ans.

Ce privilège passé de l’art, ce rôle de soupape des sens, qui nous est presque complètement escamoté par notre environnement hédoniste contemporain est une des révélations de « Jeunes années «.

Mais ce thème, central sans doute, est loin d’occuper tout le livre. Les considérations familiales, les souvenirs de la grande guerre ou bien les témoignages humains, de reconnaissance essentiellement, y sont légions et font de « Jeunes années » un ouvrage attrayant autant que sensible, dont on garde le souvenir longtemps.