« Comme on brûle un feu rouge, brûler la mer, en d’autres termes, la traverser : gagner l’Europe, clandestinement. […] Quatorze kilomètres, c’est peu et beaucoup à la fois. C’est peu si tu as l’argent pour prendre le ferry. C’est beaucoup quand tu dois ramer de nuit dans les eaux noires du détroit de Gibraltar, à bord d’un rafiot bourré de clandestins, et pas un pour savoir nager. »
Cette phrase, à elle seule, justifie le titre d’un roman qui se veut abordable, malgré la complexité des sujets soumis à la réflexion des jeunes à qui il s’adresse.
Ingrid THOBOIS, avec ce roman que Bayard Jeunesse m’a permis de découvrir, soulève quelques sujets que, malheureusement, l’actualité quotidienne traite trop légèrement. Le rêve migratoire des populations qui ne voient en l’Europe qu’un Eldorado qui se révèlera le plus souvent trompeur … Encore faut-il y arriver ! Mais elle aborde aussi la montée des Barbus, la dangerosité qui peut se cacher derrière un Iman (derrière lequel il faut voir aussi tout qui, ‘de l’autre côté’, prétend à une quelconque direction des consciences, religieuses, politiques, sociétales. Parallèlement à ces intégrismes, Ingrid THOBOIS ouvre la réflexion à propos de l’exploitation des enfants non scolarisés, la place de la femme dans la Société ou encore la consommation de drogue.
Mais il ne faut pas s’y tromper, cette mer, surface miroir des rêves, des épreuves, des doutes, joies et pleurs renvoie face à face, sans pour autant les opposer, les deux mondes que sont l’Europe d’un côté, le Maroc (ici) de l’autre.
Et c’est là l’intérêt de ce roman. Les deux personnages jumeaux, frère et sœur que sont Medhi et Lilia, ont un regard différent sur l’à-venir de leurs rêves, ils n’en restent pas moins unis, même s’ils s’éloignent l’un de l’autre. Le fond du roman est cette interrogation à propos des chemins de vie à suivre, la richesse de l’entraide, la puissance d’une pensée personnelle face à l’endoctrinement, d’où qu’il vienne, la gratuité de la solidarité ou le coût à payer aux vendeurs de rêve et aux escrocs manipulateurs de miroirs aux alouettes.
Ingrid THOBOIS propose une écriture assez simple quoique riche en émotions, en saveurs et descriptions du pays marocain. La découpe en chapitres courts permet au jeune lecteur de contextualiser les propos, d’en découvrir les unités de sens et les oppositions entre les thèmes abordés. J’imagine facilement les échanges qu’un tel livre pourrait faire naître au sein d’une classe d’adolescents qui, tous, ont du monde, de leurs rêves, des visions qui demandent encore tant d’ajustements. Les thèmes abordés dans ce roman, justement parce qu’il s’agit d’un roman, permettent cette prise de hauteur qu’exige tout échange fécond.
Un roman à partager, à découvrir, un roman à discuter pour grandir !


Remarque : Quant à une éventuelle suite que l’auteur pourrait donner pour que le lecteur sache ce qu’il est advenu aux personnages attachants de ce récit, je pense que ce serait une mauvaise idée. Enfermer une suite, parmi les possibles, risquerait, à mes yeux de servir un déterminisme qui occulte les questions qu’un jeune peut se poser sur le futur, son futur. Pourquoi réfléchirait-il s’il lui suffit d’attendre une suite à consommer ?

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le 2 oct. 2018

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