On peut remercier Jean Lopez d'avoir sorti de l'ombre la guerre sur le front de l'est, jusque-là un thème peu abordé dans l'historiographie française. Que ce soit sur Koursk, sur Korsun, sur Bagration ou sur Berlin, Jean Lopez aura à chaque fois livré des ouvrages de qualité, avec toujours les mêmes ingrédients : la multiplicité des sources et des points de vue, une analyse très fine et très claire de la situation politique et stratégique, le détail des opérations militaires, etc...
Et il ne faudrait pas non plus oublier l'excellent Barbarossa, écrit avec Lasha Otkhmezuri, qui a connu un certain succès dans les librairies. D'ailleurs, parmi les centaines d'émissions de Storia Voce (une webradio invitant des historiens), la plus écoutée est celle de Jean Lopez sur cet ouvrage.


Mais revenons au présent livre. Si je l'ai lu en dernier, c'est tout simplement parce qu'il s'agit de la seule bataille qui m'était familière, car j'avais déjà lu à ce sujet un ouvrage de référence : le Stalingrad d'Antony Beevor. Les deux historiens diffèrent en particulier sur les motivations des soldats soviétiques qui allèrent se sacrifier par milliers pour empêcher les Allemands de s'emparer de toute la ville. Beevor met en avant la contrainte exercée par l'Armée Rouge (avancer ou périr en reculant), tandis que Lopez préfère montrer plusieurs facteurs.


Si vous demandez à quelqu'un de vous citer une seule bataille de la Seconde Guerre mondiale, je suis prêt à parier que c'est le nom de Stalingrad qui reviendra le plus souvent. Cette bataille a toujours fasciné, et je pense que cela va bien au-delà des seuls amateurs du conflit. Les gens se représentent souvent la bataille comme un affrontement urbain acharné. Pourtant, cette bataille ne peut se résumer aux seuls combats dans la ville (en gros, septembre à novembre 1942). Elle commença le 28 juin 1942 avec l'offensive allemande (Plan Blau) et s'acheva le 2 février 1943 avec la reddition des dernières unités allemandes dans Stalingrad. Soit une bataille qui va concerner un immense territoire et des millions d'hommes, passant par de nombreuses étapes (avancée allemande, bataille urbaine, offensive soviétique, pont aérien, tentative de dégagement, opérations soviétiques finales).


Comme à l’accoutumée, Jean Lopez nous dresse une description détaillée de la bataille, utilisant des sources qui vont du simple témoignage des soldats aux documents des plus hautes instances militaires. Il fait aussi une analyse détaillée de la situation : en 1942, l'Allemagne n'a déjà plus les moyens de reproduire l'effort fourni en 1941. Déjà usée, la Wehrmacht va condamner l'offensive en divisant le Groupe d'armées Sud et en lui assignant plusieurs objectifs (directive d'Hitler de juillet 1942). Il faut dire qu'on croit du côté nazi que les Soviétiques, en pleine retraite, sont déjà battus et que tout le pays va s'effondrer... mais n'était-ce pas déjà le discours de 1941 ?
Côté soviétique, la situation n'est pas très bonne non plus. Le pays a survécu aux 6 premiers mois de la guerre, mais son économie est au plus bas. L'offensive allemande prend Staline et son entourage de court, qui s'attendait à une nouvelle attaque contre Moscou. Heureusement pour l'URSS, Staline va laisser plus de marges à ses généraux qui commencent à apprendre des erreurs passées. L'Armée Rouge de 1942 n'est déjà plus la même.


Il est toujours intéressant de basculer dans l'uchronie et de se demander si la bataille était gagnable pour les Allemands. Jean Lopez montre que l'issue aurait pu être différente, mais à deux conditions : il aurait fallu que les Allemands jettent tous leurs moyens vers Stalingrad AVANT de s'attaquer au Caucase, ou bien il aurait fallu donner les moyens à Paulus d'avancer beaucoup plus vite en juillet 1942.


Or, ces deux conditions n'ayant pas été réunies, la bataille était ingagnable pour les Allemands, en tout cas jusqu'à décembre 1942. Et l'Armée Rouge n'allait certainement pas rester les bras croisés pendant 4 mois, en se contentant d'alimenter la 62e armée de Tchouikov qui défendait Stalingrad.


Jean Lopez s'arrête aussi sur la genèse de l'opération Uranus, qui, comme il le montre, n'avait pas une chance sur 100 de réussir lorsqu'elle a été conçue. Mais toutes les conditions ont été réunies, et l'encerclement de la 6e Armée achève la bataille : à partir de ce moment, les Allemands sont défaits. La tentative de secours n'avait aucune chance, Paulus était cloué et le ravitaillement aérien fut une catastrophe.


On a longtemps qualifié Stalingrad de bataille décisive, de tournant de la guerre. Or, aujourd'hui, les historiens tendent à revenir là-dessus. Les germes de la défaite de l'Axe étaient déjà semés, la guerre s'est surtout jouée du côté de l'économie, où les puissances combinées des Alliées étaient largement supérieures (voir à ce sujet cet excellent livre).
De même, Stalingrad fut loin d'être la plus grande bataille de la guerre, loin d'être celle qui coûta le plus aux Allemands. Elle est restée célèbre grâce au contexte et au tournant psychologique qu'elle a provoqué.


Après Stalingrad, l'URSS ne peut plus perdre. Après Stalingrad, l'Allemagne ne peut plus gagner.

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le 23 août 2021

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