Introduction moisie à la pensée de Raymond Aron, je n'ai pas du tout trouvé cet abécédaire pertinent. Pire la minuscule préface écrite par Fabrice Gardel démontre l'indigence du niveau des débats de société actuels puisque finalement, quand on gratte un peu en surface, on s'aperçoit que l'objectif de cet ouvrage surfant sur la pensée d'Aron est de nous faire croire au retour du fascisme hitlérien en 2019 en procédant au chantage intellectuel classique, l'ouverture, le centrisme, l'immobilisme, Macron quoi, plutôt que les "extrêmes" immédiatement et automatiquement sur le chemin concentrationnaire. Voici un extrait de la préface puérile rédigée par le fat Gardel : "Temps obscurs", la formule raisonne étrangement aujourd'hui. Poutine, Orban, Trump, Salvini... L'Europe ne croit plus en ses valeurs. La violence, la haine gagnent. L'insulte remplace le dialogue démocratique." Heureusement certains morceaux choisis permettent de prendre la mesure du courage et de la force de caractère de Raymond Aron qui, lui, fut réellement contemporain de systèmes politiques dangereux contre lesquels il s'opposa toujours farouchement : nazisme et stalinisme. J'ai sélectionné quelques citations pertinentes écrites dans un contexte où la France était moins moribonde qu'aujourd'hui mais qui conservent une force intacte en résonnant avec nos propres actualités, nos propres turpitudes.

AVENIR - La civilisation de jouissance se condamne elle-même à la mort lorsqu'elle se désintéresse de l'avenir.
CITOYEN - La morale du citoyen, c'est de mettre au-dessus de tout la survie, la sécurité de la collectivité. Mais si la morale des Occidentaux est maintenant la morale du plaisir, du bonheur des individus et non pas la vertu du citoyen, alors la survie est en question. S'il ne reste plus rien du devoir du citoyen, si les Européens n'ont plus le sentiment qu'il faut être capable de se battre pour conserver ses chances de plaisir et de bonheur, alors en effet nous sommes à la fois brillants et décadents.
CONQUERIR - Les Français sont des héritiers, mais, pour sauver un héritage, il faut être capable de le conquérir à nouveau.
DESILLUSIONS DU PROGRES - J'essaie d'expliquer dans ce livre pourquoi la société moderne est insatisfaite en permanence. La raison fondamentale étant que la société moderne a des projets qui sont en tant que tels contradictoires et irréalisables.
DROITE/GAUCHE - Personnellement, je pense qu'on ne pourra commencer à parler sérieusement de politique en France que le jour où l'on cessera d'employer le mot "droite" et le mot "gauche". (1954)
ECONOMIE - L'affirmation implicite que l'économie post-capitaliste fera naître un ordre humain, égalitaire, transcende le savoir et dérive d'un acte de foi.
ELITE - La condition nécessaire pour que les régimes démocratiques puissent vivre, c'est de reconstituer une élite dirigeante qui ne soit ni cynique ni lâche, qui ait du courage politique sans tomber dans le machiavélisme pur et simple. Il faut donc une élite dirigeante qui ait confiance en elle-même et qui ait le sens de sa propre mission. Enfin, et c'est le plus difficile, il faut reconstituer dans les régimes de démocratie un minimum de foi ou de volonté commune.
INTELLECTUEL - L'intellectuel français est séparé des réalités économiques et sociales, qu'il connaît mal, il a la nostalgie de l'universalisme, de l'universalité. Il est insatisfait d'une petite France, il est de tradition de gauche. Il vit dans un pays catholique, et les pays catholiques sont probablement plus exposés à l'universalisme communiste que les pays protestants. Il rêve d'une solution totale des problèmes sociaux. Et puis il y a un élément de conformisme. Il est plus facile de se dire de gauche que de refuser de l'être.
PACIFISTE - En un sens je le suis resté toute ma vie. Je déteste la guerre, c'est pourquoi j'ai tellement écrit sur la guerre. Mais, pacifiste au sens d'Alain, refuser une fois pour toutes l'éventualité de la guerre, c'est en 32 ou 33 que j'ai cessé de l'être. Alain utilisait volontiers la formule de Bertrand Russell : "Tous les maux que nous voulons éviter par la guerre sont moindres que la guerre elle-même." A partir de 32 ou 33, j'ai pensé que cette formule était fausse, c'est-à-dire que les résultats de la victoire de l'ennemi peuvent être pires que les malheurs de la guerre.
SOCIALISME - Le mouvement socialiste a partout échoué ; il n'existe plus aujourd'hui que dans les républiques bourgeoises ; en tant que parti légal, constitutionnel, réformiste. La phraséologie révolutionnaire n'a pas entièrement disparu, mais elle ne fait même plus illusion. Le socialisme n'a d'autre but aujourd'hui que de maintenir la démocratie bourgeoise et de lutter contre le fascisme.
SOCIALISME - Le grand principe de beaucoup de socialistes est de ne jamais accepter que la réalité soit ce qu'elle est.
SOTTISE - Rappelons-nous un mot de Simone de Beauvoir et de Jean-Paul Sartre qu'Arthur Koestler a cité. "Plutôt les communistes que le Général", disaient-ils tous deux. En ce cas, il faut bien recourir à l'explication la moins satisfaisante : l'ignorance, qui conduit à la sottise pure et simple. Jamais le philosophe de la liberté n'a réussi, ou ne s'est résigné à voir le communisme tel qu'il est. Le totalitarisme soviétique, le cancer du siècle, il ne l'a jamais diagnostiqué, il ne l'a jamais condamné en tant que tel.
UNIVERSITE - On peut donner à tous l'accès aux universités ; on ne peut pas faire que tous accèdent aux mêmes universités, en tout cas à la même réussite universitaire.
VERITE ET LIBERTE - Réponse à une question de Jean-Louis Missika : "Quelles sont les valeurs auxquelles vous tenez le plus ?" Probablement la réponse - et je la crois sincère - serait : vérité et liberté, les deux notions étant pour moi indissociées. L'amour de la vérité et l'horreur du mensonge, je crois que c'est ce qu'il y a de plus profond dans ma manière d'être et de penser. Et précisément pour pouvoir exprimer la vérité il faut être libre. ll faut qu'il n'y ait pas un pouvoir extérieur qui vous contraigne.
VIVRE ENSEMBLE - Pour laisser à chacun une sphère privée de décision et de choix, encore faut-il que tous ou la plupart veuillent vivre ensemble, et reconnaissent un même système d'idées pour vrai, une même formule de légitimité pour valable. Avant que la société puisse être libre, il faut qu'elle soit.

Comme vous aurez pu le constater, Raymond Aron de par l'expérience de sa vie, de par les traumatismes lourds que connut l'Europe a élaboré une pensée intemporelle et libre au-delà des clivages traditionnels gauche-droite, s'opposant tour à tour au fascisme vaincu et au communisme triomphant au lendemain de la Second Guerre Mondiale. Ceci étant dit, je ne vous conseille pas l'achat de cet Abécédaire de Raymond Aron car au-delà du fait que tout est très décousu (le principe de l'abécédaire vous me répondrez), il ne permet pas de rentrer en profondeur dans les analyses de l'intellectuel. De plus, la sélection des citations faite par sa fille, Dominique Schnapper et l'autre guignol, Fabrice Gardel, oriente fatalement le discours d'Aron pour lui donner un sens anachronique puisque les enjeux de sociétés de la France des années 30 ou 70 ne sont plus ceux d'aujourd'hui. En d'autres termes, vouloir combattre le populisme de Salvini ou de Trump à la lumière des pensées d'Aron est au mieux une farce au pire une escroquerie. J'essaierai ultérieurement un autre ouvrage d'Aron lui-même, peut-être ses mémoires.

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le 20 mai 2024

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