William Morris (1834-1896) est anglais. Socialiste qui plus est ! Pas dans le sens moderne mais au doux sens que le socialisme portait autrefois : quand celui-ci n'était pas de "gauche" et qu'il n'avait pas fait de la religion du Progrès son cheval de bataille.


Pardonnons-le ce cher William.


C'est une voix étonnante et plaisante qui se fait entendre tout au long de ces quelques textes qui constituent le recueil "L'âge de l'ersatz". Des conférences pour être précis. Cette parole frappe d'autant mieux que Morris ne se reconnait pas dans le marxisme orthodoxe. Il semble avoir fait le chemin vers le socialisme (puis le communisme, qu'il appelle "le vrai socialisme") en passant par l'art et en constatant sa dégradation totale à l'époque nouvelle et flamboyante du monde marchand (XIXè). Siècle fou qui voit éclore en masse de faux objets, construits à partir de fausseté et qui, dans les formes finales qu'ils épousent, donnent à voir toute la laideur qui les compose : de simples produits manufacturés. Des "makeshift" comme il les appelle, traduit par "ersatz". Des copies sans âmes. Elles pullulent aujourd'hui.


Les artisans d'autrefois, ceux qui construisaient eux-mêmes de leur main, du début à la fin, ces objets puissants qui revêtaient intrinsèquement une couleur artistique n'existent plus car ils ont été consumés dans la production industrielle de masse où l'artisan devenu ouvrier ne s'occupe que d'une infime partie de la confection des objets. Ainsi Morris est profondément anti-technologique contrairement à la majorité des marxistes qui voyaient dans les progrès de la technologie une arme pour l'émancipation du prolétariat alors que cette technologie était le signe de la poursuite de son asservissement.
Ce qui donne à Morris ce ton si particulier c'est qu'il est lui-même artiste (protagoniste important du mouvement Arts and Crafts) et participait à divers combat peu commun comme son engagement dans une société pour la protection des monuments anciens le démontre. Ainsi lutte-t-il avec force contre la restauration forcenée des splendeurs architecturales des temps anciens et rappelle avec malice qu'auparavant les hommes ne restauraient pas mais bâtissaient à côté ou directement sur l'ancien. Une église du XIè se voyait affublée sur ses bords de bâtiments du XIIè, puis venait s'y ajouter une tour du XIIIè, etc... Parfois on détruisait d'anciens murs pour en créer de nouveaux, peu importait car chacun de ces changements venaient s'amonceler sur le socle proprement historique de ces époques. On pouvait apprendre l'histoire des siècles passés sur une seule bâtisse qui réunissait en elle-même le génie des hommes de chaque temps.
De nos jours, nous restaurons - souvent très mal -, parce que notre époque ne sait rien produire de beau qui lui soit propre (voyez l'art contemporain).


Une lecture galvanisante !



De même que l'on nomme certaines périodes de l'histoire l'âge de la connaissance, l'âge de la chevalerie, l'âge de la foi, etc., ainsi pourrais-je baptiser notre époque "l'âge de l'ersatz". [...] L'omniprésence des ersatz et, je le crains, le fait de s'en accommoder forment l'essence de ce que nous appelons civilisation."


Valmy
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le 10 déc. 2014

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