Voilà un roman, Prix Goncourt en 1984, que je m'étais promis de relire. C'est fait. A peine quelques trente et quelques ans que reste-t-il de ce prodigieux prix ? Que reste-t-il de ce roman Durassien, si ce n'est d'être le témoin d'une époque ?
La brièveté qui en faisait une de ses forces reste un atout majeur pour faire accepter par un public actuel cette histoire de romance née entre l'auteure et un amant chinois, richissime, certes, mais qui ne découvre l'amour qu'au travers d'une parodie d'exploration amoureuse du corps d'une enfant de 15 ans !
Ce livre, écrit aujourd'hui, serait déclaré contraire aux bonnes mœurs et serait exposé aux attaques de tous les défenseurs de la dignité humaine, du respect de la femme, de la jeune fille à peine pubère et des droits de l'enfant. Il n'en a pas moins été couronné d'un Goncourt !
Amour impossible aux yeux des bonnes mœurs, amour bien véridique et praticable aux yeux de l'époque qu'il évoque. Pouvons-nous assurer ce grand écart en tant que lecteur en 2018 ?
Là où on peut retrouver une adolescente de notre temps, c'est dans la soif de découverte de qui est cette Marguerite qui se découvre un corps en transformation et capable d'émouvoir un homme, fut-il plus âgé. Ces jeux de l'amour-découverte, de soi plus que d'autrui, elle se les rejoue à elle-même. Les rêves avec son amant, elle les revit dans son regard et son approche de la femme qu'elle devient, ayant, comme elle, des seins, des formes, des pulsions et envies qui ne demandent qu'à être vécues pour être comprises. A être comprises pour être jugulées. Là, on retrouve l'intemporalité de la découverte de soi, quel que soit le sexe qu'on expose.
Il s'en suivra une recherche éperdue d'elle-même et de la route qu'elle estime pouvoir se tracer comme étant la sienne en taisant les critiques et les reproches venus de l'extérieur. Intemporalité de cette quête de soi !
L'amant est une chronique sociale, un récit de cette Indochine en période de mutation, attachée à sa propre construction mais toujours structurées sur fond d'une colonisation qui se rêve encore de la pétrir.
Bien que le récit, probablement assez largement autobiographique, laisse le lecteur baigné dans une ambiance de compréhension et d'assimilation aux personnages, ce roman, ayant pris pas mal de rides durant ces dernières décennies, se laisse de plus en plus mal aborder par notre culture du 21e siècle.
Reste l'écriture tranchée, claire, puissante de Marguerite Duras pour nous maintenir, sinon en haleine, en tous cas dans le droit fil du roman... Mais pour combien de temps encore ?