Je me souviens de ma première rencontre avec ce livre. Trois ans avant, quand je travaillais en bibliothèque, un carton de dons nous avait été transmis. Peu de livres étaient susceptibles d'entrer dans les collections, et surtout pas celui-là, avec sa couverture vieillote, et le peu de temps qui lui restait à vivre, vu son état. Il aurait dû aller dans nos cartons de dons à une association mais quelques coups d’œil dedans me motivèrent à l'emmener avec moi. Ce que j'avais pu lire rapidement semblait bien intéressant : l'Amérique des années 1950 à hauteur de couple.


J'ai mis longtemps avant de me mettre à le lire. Mais il m'a sagement suivi dans mes déménagements, attendant son heure sur une étagère. Je l'ai lu récemment, et il en a bien souffert. La couverture en papier légèrement cartonné des éditions populaires de l'époque s'est détachée, avec quelques pages. Les pages s'effritent. La tranche s'est rabougrie. Il ne ressemble plus à grand chose et pourtant, je ne m'en séparerais pas.


Je m'y attendais, mais je n'ai pas été déçu : ce fut un régal à lire. Pierre et Renée Gosset, journalistes et globe-trotters, racontent dans ce livre leur découverte des États-Unis. Rien de bien exotique de nos jours, mais nous sommes au début des années 1950. C'est l'Amérique des 50's qui renaît sous leur plume. Une Amérique aux multiples facettes, qu'il est particulièrement savoureux de replacer dans un contexte plus large. C'est un pays optimiste, sûr de soi, qui n'imagine pas qu'il trébuchera dans les années 1970. Une époque d'optimisme et de prospérité, que l'on retrouve dans l'électro-ménager et l'aménagement des maisons, qui ne cesse de surprendre notre couple d'Européens. Une prospérité qui d'ailleurs les amuse, mais qui ne leur font pas oublier le contexte encore difficile de l'après-guerre en Europe.


Le décalage entre cette Amérique des années 1950 et cette Europe meurtrie est d'ailleurs amusant, quand on se rend compte à quel point le vieux continent a repris de nombreux points du Nouveau monde depuis sans que cela nous choque. L'électroménager, la sécurité routière ou la publicité ne nous surprennent plus, au contraire des deux époux. Leur collection de publicités américaines les plus roublardes qu'ils nous présentent au fil des pages est d'ailleurs croustillante.


Mais il y a aussi les questions de société ou de politique qui animent cette Amérique. Les Gosset ont la pudeur de ne pas imposer ces conversations, et d'attendre qu'elles viennent à eux. Nous sommes aux débuts du maccarthysme, et on se rend compte à quel point peu d'Américains se soucient de politique. Nos deux auteurs étant eux-mêmes prudents sur ce sujet. Heureusement, il en reste d'autres, d'autant plus croustillants quand ils les étonnent, malgré une conscience plutôt progressiste. La condition des femmes, plus libres, plus fières, effraie légèrement Renée. Mais leur point de vue sur la question noire est le plus frappant, quand ils affirment qu'elle est réglée, que les disparités s'effaceront avec le temps, et qu'il n'y aura pas besoin de grands leaders. Perdu.


Il y aurait tellement de choses à dire sur ce livre, ne serait-ce qu'en détaillant les étapes de leur voyage, comme cette Louisiane si commerciale qui les a déçus, ou la vantardise du Texas qui les amuse. Mais ce qui rend ce récit de voyages si intéressant, ce n'est pas seulement le regard qu'on peut en avoir de nos jours. L'écriture à quatre mains est pleine d'humour, et terriblement attachante. Sans aucune forme de prétention, et au contraire, les deux auteurs arrivent à se moquer de leurs préjugés, quand un des deux ne se désolidarise pas du "nous" pour mieux s'amuser du comportement de l'autre. Ils ont aussi le mérite d'aller vers les autres, de ne pas suivre un circuit touristique balisé, et c'est cette ouverture qui leur permet de rencontrer différentes personnes dont les opinions sont le reflet de cette Amérique.


Vous l'aurez compris, j'ai adoré ce livre. Pour ses qualités propres, mais aussi pour le regard qu'il offre d'une période passée. Chaque page est un plaisir à lire, et je me suis retenu de ne pas vous étouffer avec d'innombrables citations. Je n'ai qu'un seul regret, celui de m'être rendu compte que la traversée se poursuivait dans un deuxième tome.


Une réédition de leurs œuvres est plus qu'attendue.

SimplySmackkk
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le 12 août 2013

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