Je vais être des plus honnête, j’avais peur de ce roman. A sa sortie, j’ai eu vent de ce qu’en disait l’auteur, qu’il revenait aux sources de ce qui l’avait inspiré pour Les âmes grises, qu’il voulait se remettre dans cette ambiance très particulière. Ayant lu le livre en question à quinze ans, en classe de seconde, autant vous dire qu’il ne m’a pas laissé un bon souvenir … Très certainement trop évolué, trop « profond » pour un public de cet âge, j’en avais aimé le fond, mais m’étais ennuyé à mourir à lire les biographies de tous les personnages pour arriver à la conclusion que ce roman policier n’avait pas de criminel avéré et arrêté pour ses crimes. Atroce pour la fille qui aime les choses bien carrées et nettes comme moi !
Je m’égare en vous racontant mes souvenirs, mais voilà dans quel état d’esprit je me trouvais à la vue de ce nouveau roman. L’envie irrésistible de retrouver la plume splendide de Philippe CLAUDEL, replonger dans cette poésie dont il est maître pour nous emmener voguer vers cette île physiquement paradisiaque mais invivable, tout en ayant l’angoisse de m’ennuyer sur une partie du texte … Dans quel cruel dilemme je me suis perdue ! Au final je me suis jetée à l’eau, et bon sang ce que c’était exceptionnel ! Cette langue acérée et en même temps pleine de grâce, qui allie l’horreur du réel à la délicatesse de la langue française, c’est fameux. Un pur moment de jouissance littéraire.
Côté histoire, c’est un peu triste à avouer, mais il y a là tout ce que j’aime. Je sais, dit comme ça, c’est morbide, mais laissez-moi développer un peu. Philippe CLAUDEL nous dépeint un lieu certes beau, mais où l’humanité n’existe plus. Les rats quittent le navire, tout le monde fuit à la première occasion cette citée engloutie par le poids de son physique. Malgré le progrès industriel, cette île se retrouve fossilisée dans son passé pour un « patrimoine mondial ». Il en va ainsi de même pour ses habitants, avec des métiers essentiellement issus de la pêche, et des figurent majeures de la ville comme l’Institutrice ou le Curé qui font quasiment « partis du paysage » (excusez le mauvais jeu de mot, mais il colle parfaitement). Aigris par cette vie pauvre et recluse du monde extérieur, oubliés et rejetés, les gens n’aiment pas le changement et acceptent difficilement la nouveauté, les arrivants étrangers. Pour ma part, ayant grandit à la campagne en Lorraine, j’ai observé ce genre de comportement chez certains « vieux de la vieille », qui faisaient partis du patrimoine local et vivaient encore selon certaines pratiques aujourd’hui totalement désuètes aux yeux de la citadine que je suis. On les appelles des « campagnards ».
Mais revenons au roman, avec l’arrivée impromptue de quelques corps inertes sur la plage qui vont bouleverser les habitudes de certaines personnes. L’humanité dans toute sa noirceur, dans ce qu’elle a de plus vil et d’abject est ici mis en lumière, la clarté de la vérité. On ne peut fuir nos actes en espérant les cacher sous un tapis. Quoi que l’on fasse, cela nous rattrape, et nous devons finir par payer notre dut. C’est la superbe leçon de vie que nous offre ce roman intense. On récolte ce que l’on sème. Très sombre, on aborde des thèmes très difficiles qui je pense ne sont pas pour tous les publics. Rien n’est tabou, et quand on s’imagine avoir atteint le comble de l’horreur, on réussit à en découvrir une nouvelle couche … Il n’y a aucune limite à l’épouvante. Un thème qui au départ touche une demie-douzaine de personnes, va finir par atteindre tous les habitants sans exception.
Pour bien démontrer cette perte de valeur humaine, de bienfait, l’auteur nous met en avant des personnages natifs de l’île ou de ses environs proches, à un homme du continent. Ce dernier est le seul à avoir une réelle conscience, à ne pas accepter la facilité du mensonge à l’embarras de la vérité. Le noir au blanc, la vicissitude de l’homme à sa vertu. Bien évidemment, cet homme deviendra le bouc émissaire des tragédies à venir. CLAUDEL rajoute à cela un manque de prénom. Les protagonistes sont cités par leur fonction ou signe distinctif: l’Institutrice, le Maire, le Curé, … Les seuls pratiquement à en avoir, sont les enfants. Et encore, il me semble qu’il n’y en a qu’une qui est réellement nommée, comme si l’innocence de l’enfance faisait barrière à la cruauté de son environnement. Bien que cette petite ne soit pas protégée de ses horreurs … Personne n’est sauf, aucun abri n’est possible pour personne.
En bref, un roman intense dont on ne peut parler en quelques lignes tellement il nous prend au ventre. Un coup de poing pour se réveiller sur le monde qui nous entoure mais aussi pour se rappeler que nos actes ont des conséquences directes ou latentes sur notre avenir et celui de notre entourage. On ne peut faire du mal sans en payer un jour le prix. .e fait pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse. Souvent oublié, une petite piqûre de rappel est souvent indispensable pour reprendre les rênes en mains et faire le bien autour de soi. Juste un peu, pour son prochain, car chaque geste compte.
Ah et au fait, petit bonus, je savais que l’auteur nous ferait un mystère non résolu, une question sans réponse. A sa rencontre au lycée pendant une conférence, il avait expliqué qu’il adorait ce principe de laisser le lecteur maître du roman. A lui de choisir qui est responsable, qu’il soit libre de définir qui il souhaite voir être le criminel. Sympa mais agaçant pour moi ahah
https://cenquellesalle.wordpress.com/2018/09/15/larchipel-du-chien/