Georges Simenon avait un frère, Christian, dont il n'a jamais fait mention dans ses écrits les plus autobiographiques. Rayé de sa vie, jeté aux oubliettes de l'histoire, encombrant et honteux personnage qui a disparu anonymement en Indochine, un jour de 1947. L'autre Simenon lève le voile. Pas seulement sur la personnalité de Christian : fonctionnaire rexiste et criminel de guerre mais aussi sur l'attitude de Georges qui mena une vie de pacha pendant la guerre. Sans aller jusqu'à l'accuser de collaboration, le fait est qu'il fut un profiteur des largesses allemandes grâce à un contrat juteux signé avec la firme cinématographique Continental. Patrick Roegiers a écrit un roman : entendez par là que la biographie du frère est pour la plus grande partie exacte avec quelques latitudes prises par l'auteur. Le livre est la chronique d'une époque abominable : de l'immédiat avant guerre à 1945 sur les terres wallonnes. Le début du roman est un tour de force : la description apocalyptique et virevoltante d'un meeting du sinistre Léon Degrelle, chef du parti rexiste, chien fidèle du régime nazi. Roegiers plante le décor avec la violence d'un ouragan dans un style rageur et excessif qui cloue le lecteur à son siège. Oserait-on le terme de célinien ? La suite est moins orageuse mais à peine : Patrick Roegiers manie l'hyperbole et l'humour noir avec une dextérité terrible. Pour dire l'horreur, il la transpose en un opéra baroque et grandiloquent, jouant avec les mots comme avec des lames de couteau. Quant à Christian, son portrait est pathétique : faible, influençable, se détestant lui-même, homme sans talent ni but dans la vie, la vue bouchée par l'ombre grandissante de son frère. Georges, justement, Roegiers le malmène également, évoquant son train de vie, sa lubricité et son égocentrisme sous une ironie mordante. C'est aussi un autre Simenon qui l'on ne découvre certes pas mais dont on préférait passer sous silence les faiblesses humaines au profit de son génie littéraire. Qui restera, bien entendu, quels que soient certains traits peu plaisants de sa personnalité mais quel écrivain renommé pourrait passer pour un parangon de vertu ?

Cinephile-doux
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le 4 janv. 2017

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