Pour Maureen et sa famille, le rêve américain ne revêt pas le sépia de la nostalgie. Il ne s’écrit pas davantage en technicolor, comme dans ces productions hollywoodiennes qui commencent à occuper les écrans des salles de cinéma. Dès l’arrivée du couple et de ses deux enfants dans le nouveau monde, il a pris le goût du sang versé pour se tailler une place au soleil d’Albuquerque. Condamné à vivre dans un fauteuil roulant après un accident du travail sur un chantier pas très regardant sur la sécurité, Sean a abandonné la foi ancestrale de sa contrée natale irlandaise, un ramassis de bobards sans queue ni tête selon lui, pour la lecture et de longues soirées sur la galerie de la demeure familiale. Devenue l’unique soutien de famille, Maureen a surmonté la déveine, prenant son destin en main après un bras de fer, bref et victorieux, contre la municipalité négligente. Elle y a gagné un emploi, prémisse d’une solide amitié avec Leroy Parker, un vieux monsieur à la vie bien remplie.


Parmi les figures légendaires de l’Ouest américain, Billy the Kid tient une place de choix. Si l’on fait abstraction de la filmographie consacrée au célèbre régulateur, le bonhomme est aussi le sujet d’une abondante littérature, plus ou moins inspirée, lui donnant souvent le beau rôle, mais insistant également sur l’ambivalence du personnage. Héros au grand cœur ou outlaw brutal ? La réponse à cette question n’a que peu de place dans la passion pour le personnage, l’affect semblant avoir pris définitivement le dessus sur la raison. De toute manière, depuis The Authentic Life of Billy The Kid de Pat Garrett, où le shérif de Lincoln livre sa propre vérité sur la mort du Kid, une vérité contestable et contestée, Billy the Kid a rejoint la longue liste des figures mythiques de l’Ouest dont on se plaît à romancer ou fantasmer les faits et gestes. Je renvoie les éventuels curieux aux ouvrages de Michael Ondaatje ou de Charles Neider, tous deux chroniqués sur ce blog.


Avec L’extravagant Monsieur Parker, Luc Baranger s’inscrit dans le sillon des auteurs ayant choisi de faire vivre le Kid au-delà du terme officiel de son existence, en 1881. Sur ce sujet, si Goodbye Billy de Laurent Whale m’a moyennement convaincu (euphémisme), je ne retiens pas mon enthousiasme pour le présent roman. Luc Baranger ne manque pas de talent pour faire revivre l’Ouest, mais aussi pour évoquer quelques épisodes de l’histoire américaine entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Pendant cette période charnière, où disparaît la Frontière, les États-Unis commencent à imposer leur volonté sur le continent américain. Autrement dit, ils sèment la pagaille, la mort et la désolation au nom de la liberté et de la démocratie. En prenant le vieux monsieur Parker comme porte-parole, Luc Baranger se livre à une démythification des États-Unis, pays où on préfère imprimer la légende au lieu de s’en tenir aux faits. On prend ainsi grand plaisir à lire, sous sa plume imagée et truculente, le récit du desperado devenu vieillard indigne et malicieux, grand-père idéal pour les enfants de Maureen qui découvrent le hors champs historique de leur pays d’adoption. Luc Baranger évoque ainsi quelques-uns des mythes de l’histoire américaine, de l’épopée des Rough riders de Theodore Roosevelt, jusqu’aux actes des Banana Men, faisant et défaisant les gouvernements d’Amérique centrale pour le compte de l’United Fruit Company, sans oublier la Horde Sauvage de Butch Cassidy auquel le Kid rend justice et hommage avec sa nouvelle identité. S’il semble pencher pour le Kid, Luc Baranger n’atténue pas pour autant le caractère violent du personnage et sa morale personnelle guère respectueuse des lois ou conventions sociales. Au crépuscule de son existence, le Kid reste fidèle à lui-même, c’est-à-dire fidèle à un idéal de liberté où la parole donnée, la sincérité et une conception personnelle de la justice l’emportent sur un droit résultant d’un rapport de force défavorable aux femmes, aux minorités et aux humbles. Bref, de quoi entretenir le mythe encore longtemps.


L’extravagant Monsieur Parker apparaît donc comme un excellent roman, à la prose vigoureusement charpentée, non dépourvue de tendresse, mais où l’émotion finit par l’emporter. On n’a pas fini de réécrire l’histoire du Kid pour se venger du monde tel qu’on le subit.


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le 22 juin 2020

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