L'idéologie française, victime de la BHhaine?

L'idéologie française fait partie, avec le Testament de Dieu et la Barbarie à Visage Humain, des trois ouvrages qui sont à l'origine de la célébrité de Bernard Henri-Lévy, aujourd'hui perçu, à tort ou à raison comme une sorte d'incarnation des élites françaises bien-pensantes, politiquement correcte, de pensée unique le tout mâtiné d'une bonne dose de vanité et de narcissisme inversement proportionnelle à la profondeur du propos.
De sorte que tout ce qui se rapporte à BHL semble devoir être nécessairement perçu comme intrinsèquement mauvais et prétentieux, une sorte de BHhaine proportionnée à l'amour de lui-même que sont auteur se porte.


Les notes sur SensCritique semblaient plaider dans le même sens et laissaient penser à une de ces œuvres infâmes dégoulinante de bêtise et de prétention, ou simplement mauvaise au point du nanardesque.


Et pourtant, l'idéologie française était pour moi un objet de curiosité, puisqu'il constitue quand même l'un des ouvrages qui a mis en lumière ledit BHL.
Alors qu'est ce que l'idéologie Française et que vaut cet ouvrage, en essayant de faire abstraction du personnage - controversé - qui l'a écrit?


Assurément, c'est un essai qui prend presque la forme d'un pamphlet dont l'idée sous-jacente est assez simple: Vichy a été possible, et sera de nouveau possible, parce qu'il existe une "Idéologie française" qui serait au fond, un "fascisme à la Française" et qui est susceptible, à tout moment de renaître. C'est cela le "ventre fécond", image d'Epinal tant invoquée et démonétisée depuis.
Qu'en conséquence, l'idéologie du régime de Vichy n'est pas le résultat de l'occupation allemande qui serait venue greffer le nazisme dans la patrie des droits de l'Homme. Mais que cette dernière aurait son propre fond de racisme, d'antisémitisme et de xénophobie qui a trouvé à s'incarner dans Vichy mais qui était déjà présent, latent, perceptible voire revendiqué auparavant.


Que le racisme français se trouvait déjà chez Voltaire, et que, de Maurras et Barrès à Sorel en passant par Péguy, l'illibéralisme, le mépris des droits de l'Homme et la xénophobie avait toujours été présente. Et qu'à la Libération, ce qui furent fusillés pour l'exemple étaient ceux qui étaient favorables à la version allemande du nazisme qu'ils souhaitaient importer en France et qui avaient été pour cette même raison, écarté du pouvoir vichyste qui était, en somme, trop xénophobe pour reprendre un modèle dont il partageait les autres convictions.


Et dans cette perspective, tout le monde en prend pour son grade. De toute manière BHL laisse clairement entendre que les idéologies refusant les échanges en prenant appui sur l'unicité supposée qu'il devrait y avoir dans le peuple sont suspectes de relever de "l'idéologie française". Que c'est justement ce consensus qu'il faut combattre, BHL plaidant pour une forme de sectarisme (ce sont ses mots), en se coupant de cette "idéologie" avec laquelle il faudrait refuser tout compromis.


Toutefois l'une des principales cibles du livre est le parti communiste français de l'époque (1980) que BHL n'hésite pas à présenter comme ni de gauche, ni à l'Est mais "d'extrême droite", en prenant appui sur un certain nombre de déclarations xénophobes de ses membres à l'époque, ou en le renvoyant à son rôle pour le moins discuté pendant les premières années de l'Occupation, en affirmant, citations à l'appui, que les communistes auraient chercher à se faire reconnaître la paternité du vichysme. Pis encore, l'attitude du PC dans les années 1940 à 1941 n'aurait pas été dictée depuis l'URSS, mais bien de sa propre initiative.


Très en verve, il accuse également les communistes français de n'avoir au fond jamais été marxistes, puisqu'il se seraient basés sur l'Abrégé du Capital de Marx, résumé traduit en Français de l'ouvrage de Marx, réprouvé par Engels.


A noter également une attaque en règle contre les discours "d'amour à la terre", très en vogue à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle en opposition à "l'argent" et au "cosmopolitisme", présentés comme une antienne de "l'idéologie française", l'opposition à "l'argent" déviant souvent, selon BHL, vers l'opposition aux juifs dans ces discours.


Fait pour provoquer (et c'est une réussite de ce point de vue), cet essai peut paraître bien excessif dans ses propos, avec notamment un ton qui est devenu caractéristique de ce qui est dénoncé dans la "bien-pensance" (le sentiment de nausée et autres qualificatifs peu amènes pour qualifier ce à quoi on prétend s'opposer) et une analyse qui tend à amalgamer Maurras, Péguy, Sorel, Gobineau et Brasillach en se basant sur de courts extraits de leurs œuvres. Cette technique BHL de name dropping a été souvent dénoncée. Pour autant, malgré l'abondance de références, l'œuvre ne noie pas sous celles-ci.
Il reste que tout n'est pas à jeter dans l'idéologie, un certain nombre d'idées que j'ai résumé plus haut ne sont pas nécessairement à écarter d'un revers de main, et si il n'est pas obligatoire d'adhérer au style ou à la personnalité de l'auteur force est de constater que cet ouvrage a le mérite de faire réfléchir.


Cela ne mérite pas une note très haute, mais surement pas l'opprobre auquel il semble voué ici. 5.

Lestrade
5
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le 1 mars 2021

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