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Je viens tout juste de finir la lecture, et franchement, que dire ?


L'Inassouvissement est, de toute ma modeste vie de lecteur, l'un des livres les plus complexes que j'ai pu lire. Son auteur, Stanislas Ignatius Witkiewicz, est relativement inconnu en France. Théoricien de la "forme pure" au théâtre et en peinture, son style est une théorie sur la littérature à lui seul. Même s'il s'agit d'une traduction, sa prose est absolument unique et ne se retrouve chez aucun autre auteur et j'insiste sur le mot : aucun.
Mélange anarchique des registres de langues et même des langues tout court, digressions incessantes, pamphlets contre des philosophes célèbres en plein récit (Bergson en particulier), effets d'annonces, hapax multiples, jeu de mots multilingues... Dire que sa prose est "riche" est un véritable euphémisme : aucun lettré ne saurait jamais l'approcher que de loin.


Witkiewicz n'est pas seulement novateur par la "forme" (on me pardonnera le schisme artificiel entre forme et fond pour rendre la critique lisible) mais aussi par ce qu'il raconte dans son livre. Dans l'Inassouvissement, il n'y a rien à attendre. C'est un texte sans espoir, au sens strict.
Les effets d'annonces qui "spoilent" le récit empêchent toute réelle surprise. Tout est attendu, du début à la fin. Un surhomme pourtant, quasi-nietzschéen, vient faire douter le lecteur : et si le "miracle" (dans le texte) se produisait ? Mais n'oublions pas le titre du livre : tout désir est voué à être inassouvi : car dès lors que le désir est assouvi, l'individu perd toute volonté de vivre. Tout action est vouée à l'incomplétude : y compris les péripéties du récit. Et de fait, le "happy end" final qui clôt ce requiem est un des plus glaçants depuis la Métamorphose de Kafka.


Je pourrais aussi beaucoup parler des visions prophétiques de Witkiewicz sur le totalitarisme et la société du spectacle, qui relèguent 1984 au niveau d'un vulgaire roman de gare, le tout en ayant vingt ans d'avance sur lui. Mais je ne sais pas, j'ai toujours pensé que si la principale qualité d'un livre était d'être visionnaire sur l'avenir, c'est que le livre n'était pas si intéressant que ça, et je pense qu'il mérite mieux que ça. De toutes façons, il n'y a rien à expliciter : vous avez simplement à lire, le texte parle de lui-même. Pas besoin de texte critique pour comprendre cet aspect.


Enfin, j'ai également une théorie, très personnelle, sur le livre.
Quand j'étais plus petit, j'empruntais des gros volumes de contes à la médiathèque, avec des fables du monde entier. Et j'avais lu, dans un volume de contes soufis, l'histoire suivante : une sorcière empoisonna les puits d'une ville modèle gouvernée par un roi des plus sages, et les habitants qui burent aux puits devinrent fous les uns après les autres. Seul le roi ne buvait pas aux puits et demeura sain d'esprit. Cependant, ses sujets fous l'ostracisèrent, en le prenant lui-même pour un fou. Un jour, lassé par la solitude et l'impuissance, il but l'eau empoisonnée et devint fou.
Et la cité redevint heureuse : le roi avait recouvré la raison.


Peut-être Witkiewicz connaissait-il cette fable ? Ou peut-être pas, qui sait. Je divague peut-être, mais je trouve que cette fable est un des meilleurs résumés qu'on puisse donner du livre. Cette citation poignante de Tadeusz Micinski commence et clôt le livre : Moi, en choisissant mon destin, j'ai choisi la folie. Witkiewicz aura suivi la même voie que son héros maudit.


Un livre immense : par son projet, par son contenu, par son style magistral, par son auteur. Un des plus grands romans de l'histoire de l'humanité.

Bassorah
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le 15 janv. 2022

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Bassorah

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