Les oubliés ce sont ces hommes et ces femmes qui empruntent les chemins de l’exil pour sauver leur peau. Khalil Diallo donne sa voix à quatre d’entre eux, nous rappelant que derrière les chiffres il y a des êtres qui luttent et qui espèrent. Un récit intense et poignant.


Sembouyane et Idy sont contraints de quitter leur terre natale en proie à une guerre fratricide. Ils choisissent l’exil. Sur la route ils rencontrent un écrivain reconnu qui fuit un régime autoritaire ainsi qu’une jeune femme qui porte fièrement ses idéaux féministes. Ils empruntent la route mortelle du désert pour rejoindre l’Europe auprès de compagnons d’infortune venus des quatre coins de l’Afrique subsaharienne. Il connaissent la soif, la faim, la violence et la haine. Accrochés de toutes leurs forces à un espoir tenu, ils avancent malgré tout.



Demain dès l’aube à l’heure où renait la forêt, comme le poète éploré, je m’en irai. Je prendrai la route de l’exil, tracée par les cadavres. J’irai par les gites de la mort, champs de cadavres ravagés par la famine, la soif et la brutalité des hommes, à travers le désert pour trouver ma terre promise.



Au fil de l’odyssée des personnages, c’est un portrait lucide de l’Afrique qui se dévoile. Croisant sur sa route des hommes venant de plusieurs territoires meurtris du continent, Seybouyane prend conscience de la terre en perdition qui l’entoure. Lui et ses amis traversent des terres martyrisées. Ils sont témoins du désespoir omniprésent et des tentatives désespérés de s’en sortir.


Le ton du récit est lyrique, il emprunte aux chants homériques. Les horreurs qui pavent le chemin de Sembouyane sont nombreuses mais sont racontées avec pudeur. Si on devine l’insoutenable, il ne nous le donne pas à voir. Le lecteur est happé par cette Odyssée où la mort guette au détour de chaque page. Nous avançons dans le récit le souffle court à la suite des personnages, incapable de lâcher le livre. J’ai été emporté par cette histoire qui m’a révoltée et émue.


Seybouyane nous raconte les routes poussiéreuses, les visages miséreux et l’enfer du Sahara. Entre les passeurs véreux et les fous de dieu, ils sont nombreux à vouloir s’enrichir sur le désespoir. Le héros découvre l’enfer des camps libyens où l’esclavagisme est réinventé. Cependant les moments où l’espoir l’abandonne sont rares. Habité par ses croyances et par les mots de son grand-père, il résiste et trouve la force de continuer à avancer. Il est touchant par son humanisme et par le regard lucide qu’il pose sur les événements.



Ici, pas d’amour ou de tendresse, encore moins de fraternité ou de bienveillance. C’est le royaume de la désolation, du désespoir, et le cimetière de tous les rêves d’Europe, de tous les espoirs de liberté et d’épanouissement.



Ce roman est un tombeau pour tous les oubliés que les eaux ou les sables ont engloutis dans leur errance. Il porte leurs espoirs et leurs souffrances. Les éditions Emmanuelle Collas nous offrent encore un roman puissant à la portée universelle. Un roman coup de poing qui vous hantera longtemps.



Ô Monde en perdition, viendra-t-il celui qui comme Zeus se rappellera et sauvera les oubliés, existe-t-il seulement ?


Anaïs_Alexandre
9

Créée

le 26 déc. 2021

Critique lue 20 fois

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