"Parce qu'il n'était pas humain, pas totalement humain."

Magnifique roman signé John Maxwell Coetzee, un de ses plus beaux à mes yeux, où génialement il raconte sa profonde solitude et son inadaptation sociale.

Dernier opus de sa trilogie autobiographique, après Scènes de la vie d’un jeune garçon et Vers l’âge d’homme, deux romans tout aussi passionnants à propos de son enfance en Afrique du Sud, sa vie de jeune adulte et son expérience londonienne, L’Été de la vie clôture le projet sur la trentaine de l’écrivain, tout juste avant qu’il ne naisse en tant qu’artiste renommé.

Dans les deux premiers volumes, Coetzee écrivait à la troisième personne, jetait sur lui-même un regard extérieur et terriblement froid, dépersonnalisait sa propre introspection. Dans L’Été de la vie, il va plus loin encore. Il se tue, se fait disparaître après l’obtention de son Nobel, et laisse la parole aux femmes de sa vie (ainsi qu’à un ami lointain) interrogées dans des entrevues fictives. Il ne se voit plus de l’extérieur en tant que narrateur omniscient, mais à travers les yeux des gens qui l’ont connu, ce qui est bien plus cruel.

Il décrit un homme seul, en retrait, terne, qu’on n’a pas envie d’aimer. Un homme sans amour, rejeté, loin de sa famille ; un enseignant sans enthousiasme ni charisme, ennuyeux ; un idéaliste qui sait ce que vaut l’idéal en ce monde : peu de chose.

Les cinq personnes interrogées n’ont pas vraiment de compassion pour lui. Il n’est pas pris en pitié et ne peut pas l’être, car il était bien trop fermé. Sa froideur s’est répandue jusque dans les témoignages de ses connaissances.

Il y a tout un jeu de narration virtuose dans cette construction. Mais le plus bouleversant, c’est de constater cette conscience aiguë de l’impression mauvaise qu’il laissait aux autres…

Outre les entrevues, le livre s’ouvre et se referme sur quelques fragments du carnet de l’écrivain décédé ; fragments qu’il destinait justement à ce livre autobiographique avant de mourir. Ces écrits brefs posent le contexte de sa vie au moment des épisodes racontés par les personnages interviewés. Sa relation avec son père, le sixième « proche » du roman, qu’il ne pouvait pas faire parler, est déchirante tout en restant pudique. C’est l’univers de Coetzee. Un calme plat, étouffant ; triste et touchant.

Benson01
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le 12 mars 2023

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