Il faut ab-so-lu-ment que tu lises Murakami, c’est tellement poétique !
Le genre de phrase que j’ai dû entendre prononcée lors d’un dîner mondain où je trainais mon ennui, en me faufilant entre deux attroupements causés respectivement par l’exposé d’une agrégée de lettres modernes sur la littérature japonaise du XXème siècle à ma gauche, et par des débats lumineux sur la déportation des réfugiés à ma droite (très à ma droite).
Ou alors une amie m’en a parlé.
Ou bien un commentaire lu au détour d’un site ou sur un forum m’a finalement décidé…
Bref, j’ai oublié où l’idée a germé, mais j’ai enfin lu un Murakami.
Le genre d’étape réputée essentielle dans une vie culturelle : la sensibilité à l’état pur, le réalisme oriental post-guerre à son apogée, la poésie libérée de la nécessité d’une intrigue...
Car oui, en terme d’histoire, on est en effet dans le simpliste, qui tourne rapidement au surréaliste : le narrateur, sorte d’ombre désincarnée pouvant représenter n’importe quel jeune homme anonyme habitant l’enfer urbain, se remet de son divorce en s’extasiant de la magnificence des oreilles de sa nouvelle amie. Son monde, jusqu’ici d’une monotonie à crever, va changer lorsqu’il est engagé contre son gré dans une quête mystique : retrouver un mouton bien particulier, dans le nord du Japon, sous peine de voir la pègre tokyote (oui, ce mot existe) ruiner sa misérable existence.
Cette quête initiatique entraine le narrateur à rencontrer une galerie de personnages hauts en couleurs, qui le mèneront progressivement vers le mouton de ses rêves. Ces personnages sont particulièrement colorés en comparaison du narrateur lui-même, dont on ne sait finalement que peu de chose et qui semble relativement interchangeable... Surtout, la quête va le mener à s’enfoncer progressivement dans un Japon rural qui a perdu de sa splendeur, à cause entre autres de la mort des industries campagnardes. Des immeubles à l’abandon, un monde gris, ce Japon à l’abandon est décrit avec beaucoup de tendresse et une amertume palpable. C’était mieux avant !
A chaque pas qui l’éloigne de sa vie ordinaire, le narrateur s’enfonce plus profondément dans des réfléxions sur la vie quotidienne, sur la modernité, sur l’amitié et l’amour, sur le temps qui passe… Malheureusement, ces réfléxions sont souvent “à la sauvette”, des bouts de dialogues, des ersatz inachevés. J’appelerais presque ça de la “micro-phiosophie”, un peu prétentieuse, et laissante une très grande place à l'interprétation du lecteur : on y trouve un peu ce qu'on veut y trouver. Ca fait un peu “fausse poésie” tout ça. Tout n’est pas à jeter bien sûr, surtout au fur et à mesure que l’on avance dans la lecture, et que le rythme se ralentit énormément, ces pensées s’intègrent mieux au roman, ce dernier devenant beaucoup plus contemplatif.
Le style (ou en tout cas la traduction) reste agréable. Murakami possède un sacré sens du détail, son écriture est précise, et même si elle ne transmet pas beaucoup d’émotions, elle retranscrit parfaitement les ambiances, les atmosphères. Le dernier tiers surtout est particulièrement intéressant, et mérite sûrement d’être relu une ou deux fois.
Alors, conclusion ? Pas mal, mais pas forcément révolutionnaire. J’avais des attentes élevées, du fait de la surmédiatisation de Murakami depuis quelques années (ou bien je ne l’avais simplement jamais remarqué auparavant), et elles n’ont pas forcément été comblées. Je réessaierai sans doute plus tard.