Analyse sérieuse et passionnante, très argumentée, par un grand économiste engagé...

Dernier ouvrage en date de l'économiste Jacques Sapir, ce livre dense est peut-être regrettablement intitulé « La démondialisation », terme abondamment utilisé avec dérision (comme l'invective « économiste souverainiste » à l'égard de l'auteur) par les défenseurs libéraux de quelques mythologies contemporaines...

Loin de la polémique, Sapir poursuit son travail méticuleux d'analyste, appliquant des méthodes de travail trop souvent abandonnées par les purs idéologues du marché-roi : démoyennisation des résultats constatés (montrant ainsi que la « croissance » mondiale prétendument due à la mondialisation a profité en fait à très peu de personnes et à très peu de pays – et tout particulièrement à ceux qui s'affranchissent largement de la doxa libérale), ou remise à plat de définitions trop vite considérées comme allant de soi (« économie ouverte », « politique nationale »,...), en tirant parti de sa connaissance précise et intime des économies russe, chinoise et désormais brésilienne.

« De fait, les pays qui ont associé des politiques protectionnistes à des bonnes politiques macroéconomiques connaissent des taux de croissance qui sont largement supérieurs à ceux des pays plus ouverts (...). Ceci nous ramène à la problématique du développement, qui s'avère être autrement plus complexe que ce que les partisans d'un libre-échange généralisé veulent bien dire. Les travaux d'Alice Amsden, Robert Wade ou ceux regroupés par Helleiner montrent que dans le cas des pays en voie de développement le choix du protectionnisme, s'il est associé à de réelles politiques nationales de développement et d'industrialisation, fournit des taux de croissance qui sont très au-dessus de ceux des pays qui ne font pas le même choix. Le fait que les pays d'Asie qui connaissent la plus forte croissance ont systématiquement violé les règles de la globalisation établies et codifiées par la Banque mondiale et le FMI est souligné par Dani Rodrik. Voici qui nous renvoie à la question des politiques nationales et à la problématique de l'État développeur qui renaît dans le débat depuis quelques années. Cette problématique est en réalité au cœur du réveil industriel de l'Asie. En fait, ce sont ces politiques nationales qui constituent les véritables variables critiques pour la croissance et le développement, et non l'existence ou non de mesures de libéralisation du commerce international. Mais admettre cela revient à devoir reconsidérer le rôle de l'État dans les politiques économiques et le rôle du nationalisme comme idéologie associée au développement. On touche ici à de puissants tabous de la pensée orthodoxe en économie comme en politique. »

Après cette robuste introduction, démontant chiffres en main les « mythes et légendes de la globalisation », les chapitres suivants analysent de près le rôle des institutions prétendument « incontournables », et en particulier celui de l'OMC, puis la nature des bénéficiaires réels de la globalisation, avant de se pencher sur son poids actuel, dans tous les sens du terme, et sur la manière dont l'échec du système de Bretton Woods, en agitant opportunément le spectre du désordre mondial, a conduit dès 1980 à un dévoiement systématique du système monétaire international au service d'une forme bien particulière de globalisation financière, montrant au passage à quel point l'euro lui-même constitue un mécanisme fortement dévoyé par rapport à sa vocation première (« monnaie commune » vs. « monnaie unique »). La conclusion fournit un certain nombre de pistes pour mettre fin de manière volontariste aux plus évidents de ces différents errements, profondément hostiles au bien commun, même masqués sous d'épaisses couches d'orthodoxie économique libérale...

Le livre rencontrera bien entendu de nombreux sceptiques, surtout parmi ceux, cadres dirigeants notamment, qui se réjouissent encore de la mondialisation financière, gage d'échanges sympathiques, autour de vins de prestige, avec leurs homologues de Boston, Singapour ou Milan, tandis que leurs avoirs accumulés fructifient gentiment à Guernesey ou aux Bahamas. C'est pourtant précisément à ceux d'entre eux qui se piquent de rationalité partagée, et non d'un simple égoïsme à court terme, que cet ouvrage s'adresse au premier chef. Et l'effort en vaut la peine.
Charybde2
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le 9 sept. 2011

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