Prix littéraire, sujet porteur et titre explicite aidant, chacun le sait : la Disparition de Josef Mengele évoque les trente ans de cavale sud-américaine du médecin d’Auschwitz après Auschwitz. Qu’une fois ces quelque deux cent cinquante pages terminées, Josef Mengele fasse figure de pauvre type ne m’a pas choqué ; je trouve même étrange de douter qu’un individu puisse être un monstre et un pauvre type. (Autant que tour à tour pacha et rat, pour reprendre les titres des deux parties du roman.)
Il est certes rassurant, dans un sens, pour quiconque pense que le mal chez un être humain existe à l’état pur ou n’existe pas, d’imaginer Mengele poursuivre ses barbaries dans quelque sous-sol glauque de Buenos Aires. Or, rien. Tout juste quelques avortements clandestins – que j’aurais presque vus comme une forme de rédemption s’ils avaient été pratiqués pour de bonnes raisons. Le dentiste de Marathon Man est plus effrayant que Mengele en cavale.
Oui, dans un sens, Olivier Guez présente un personnage de nazi sous un visage humain, rejetant délibérément « la légende d’un super vilain aussi insaisissable que Goldfinger, une figure pop du mal, invincible, richissime et rusée, qui sème ses poursuivants et se tire des situations les plus périlleuses sans une égratignure » (chapitre 58). J’admets aussi que l’évocation de Mengele « livré à la malédiction de Caïn » (chapitre 35) puisse susciter quelque malaise chez un lecteur.
Au-delà de ce parti-pris, qui n’est pas amoral, comme je l’ai lu parfois, et surtout pas immoral, mais qui s’appuie sur une construction morale beaucoup plus complexe et nuancée que celle qui régit un livre à succès ordinaire ; au-delà de ce parti-pris, disais-je, que garder, littérairement, de la Disparition de Josef Mengele ?
Stylistiquement, c’est très maîtrisé c’est-à-dire, au final, un peu tiède : pas de ralentissement, pas d’emballement, ou alors seulement le temps d’une phrase, d’un paragraphe. Rien n’échappe au narrateur, qui évite soigneusement le moindre double sens, qui déplie son écriture comme pour chasser de son récit la moindre froissure, la moindre zone d’ombre. (Je parle évidemment de zone d’ombre qui toucheraient le sens littéral du propos.) Les lecteurs qui, comme moi, aiment qu’un écrivain joue avec eux seront déçus.
La Disparition de Josef Mengele finit par ressembler à un livre d’auteur – au sens où le processus d’écriture semble avoir plus compté pour l’auteur que le texte qui en est le résultat. D’ailleurs Olivier Guez a passé plusieurs mois à enquêter sur son sujet. Mais littérairement, il n’y a pas d’autre idée que ce style maîtrisé-tiède dont je parle plus haut. Sur un chapitre ou deux, ça ne poserait pas de problème, mais cela rend ces deux cent cinquante pages bien arides.
Il y avait d’autres pistes, que le récit n’explore jamais. Par exemple, comment combler les trous d’une biographie ? (Olivier Guez les comble, mais ne semble pas se poser la question de savoir comment faire : dans les détails qu’il fournit sur la vie quotidienne, j’imagine que certains ont été inventés, or j’eusse aimé qu’on pût savoir lesquels.) Ou encore, pourquoi un ancien pratiquant du nazisme ne renie rien de ses idées mais ne commet plus la moindre action pour les défendre. Posé autrement : que reste-t-il d’un engagement ? – et j’admets que parler d’engagement à propos de nazisme ait quelque chose d’inhabituel.