La Grève
6.7
La Grève

livre de Ayn Rand (1957)

Titans Vs Parasites : une dystopie pas comme les autres

Fan de dystopies, je pensais avoir lu les plus grands classiques de ce genre littéraire. Quelle ne fut ma surprise, après m’être régalée en jouant aux différents Bioshock, d’apprendre que cette saga était inspirée d’un roman apparemment célèbre ! Ni une ni deux, je me procure Atlas shrugged en version numérique et profite d’ un long voyage en avion pour commencer ma lecture. La kindle ne précisant pas le nombre de pages des romans mais seulement le pourcentage d’avancée dans la lecture, j’ai eu la « charmante » surprise de réaliser qu’en 11h je n’avais lu qu’environ 15% ! Trollée par ma propre liseuse… 


Que dire de ce roman ? Si je ne regrette absolument pas de l’avoir lu, il m’a néanmoins laissé une impression mitigée. Commençons par les points positifs qui justifient la bonne note que je lui ai donnée. Attention, cette critique contient quelques spoilers sur l'oeuvre!


Tout d’abord, je trouve très intéressant que les causes de la dystopie soient à l’opposé de celles que l’on retrouve communément dans ce genre littéraire. L’univers effroyable de 1984 était causé par le totalitarisme, celui presque aussi glaçant du Meilleur des Mondes par l’ultra-capitalisme et la société de consommation poussée à l’extrême, celui de La Planète des singes par la paresse et la passivité, celui de Hunger games par une catastrophe mystérieuse que l’on peut imaginer avoir été causée plus ou moins indirectement par les hommes… Bref, les causes sont en règle générale l’égoïsme humain, sa volonté de dominer les autres et son besoin incessant de richesses et de confort.


Dans Atlas shrugged, les coupables sont… les vilains socialistes qui passent leur temps à partager le fruit du travail des entrepreneurs avec les nécessiteux et à tenter de réglementer le capitalisme ! Bien sûr, je force un peu le trait (pour ma défense, c’est l’auteur qui a commencé^^) et les causes de cette dystopie sont multiples mais il s’agit bien de la principale. J’ai trouvé fort intéressant de découvrir une œuvre autant à l’opposé de mes convictions politiques mais néanmoins assez prenante pour que, le temps de la lecture, je compatisse avec ces pauvres chefs d’entreprise millionnaires et conspue ces parasites du gouvernement refusant le capitalisme sauvage et se permettant d’aider les nations affamées.


Il faut dire que Rand n’y va pas avec le dos de la cuillère et force le trait. Les héros sont plus qu’humains, de véritables titans parmi les hommes (le titre aurait pu me mettre la puce à l’oreille^^) : on ne peut qu’applaudir la manière dont ils parviennent encore et encore à contourner les difficultés et à sauver leur entreprise face à des lois de plus en plus absurdes et destructrices, votées bien sûr pour des raisons faussement généreuses et dans le but réel de favoriser leurs auteurs. C’est d’ailleurs ce point précis qui fait pour moi la force du roman : l’inventivité des personnages, bons comme mauvais, pour arriver à leurs fins et les rebondissements à répétition que cela implique.


J’ai également beaucoup apprécié le mystère autour de John Gait et le fait que les 50 premières pages du roman, que j’ai trouvées franchement rebutantes au point d’avoir failli abandonner la lecture, contiennent beaucoup d’éléments prenant sens bien plus tard : on y découvre la mystérieuse expression « Who’s John Gait », on évoque la mystérieuse 5eme symphonie qui est le premier indice important concernant la vallée où se sont réfugiés les entrepreneurs et, bien sûr, on y découvre Gait lui-même.


Enfin, il est très original de proposer comme héros de cette dystopie non pas, comme très souvent, une poignée d'humains normaux qui pour une raison quelconque ne peuvent pas s'adapter au système en place et finissent broyés par celui-ci mais des êtres au contraire quasi surhumains qui finiront pas enterrer ledit système par la seule force de leur volonté. Il n'est vraiment pas évident de proposer des aspects originaux dans un genre aussi prolifique que la dystopie et je ne peux qu'apprécier l'effort.


Les points négatifs ? Premièrement, ce livre fait au moins 600 pages de trop. Ce n’est pas sa longueur qui m’a rebutée (je suis fan de la saga Dune, bien plus longue mise bout à bout) mais SES longueurs : les personnages se répètent atrocement ! Je comprends bien que ce livre n’est pas qu’un roman mais un manifeste politique permettant à l’auteur d’exposer ses idées mais quel manque de subtilité ! J’ai perdu le compte du nombre de fois où un des héros reprend le même discours qu’un de ses comparses, parfois presque au mot près. Dagny, John Gait, Francisco, Rearden, Wyatt… tous pensent exactement la même chose (ce qui en soi n’est pas génant)… et le disent, encore et encore !


Même chose du côté des « parasites » bien sûr : le discours moralisateur et bien-pensant sur le fait que les êtres exceptionnels doivent se mettre au service des autres, que personne ne doit sortir du lot, que toute richesse doit être partagée et qu’il faut se méfier à tout prix de l’individualisme et même de la réflexion est répété sans cesse. Cela dit, je trouve ce radotage-là bien moins horripilant car plus justifié au niveau de l’intrigue : bien sûr que le discours de tous ces gens est identique, ils ont appris à ne plus penser par eux-mêmes et à justifier toutes leurs actions par ce discours précis. Ils sont même plus ou moins parvenus à se mentir à eux-mêmes, même devant l’évidence, au point que l’on est à la limite de la double-pensée d’Orwell.


Et puis nous avons le loooooooooong discours de John Gait à la population. Seul, il serait passé : le fait qu’il reprenne (en termes plus abscons) les arguments rabâchés encore et encore par tous les héros de l’histoire m’a achevée. De plus, je ne doute pas du génie de Gait mais beaucoup plus de son sens commun : il s’adresse à une population que les personnes au pouvoir ont volontairement abêtie depuis des siècles, à qui l’on a répété maintes et maintes fois que la logique et la réflexion étaient de dangereuses illusions… et il choisit de s’adresser à eux d’une manière aussi complexe ? Ca doit être mon côté prof mais cet illogisme m’a dérangée.^^


En fait, John Gait lui-même m’a dérangée, ce qui est bien dommage puisque comme je l’ai dit je trouvais le mystère le concernant très intéressant. J’ai toujours un peu de mal avec les figures messianiques absolument parfaites et donc complètement inhumaines. Le problème vient en grande partie du choix narratif : si nous avons assez de passages nous faisant découvrir les pensées de Dagny et Rearden et même, dans une moindre mesure, de Francisco, ce n’est jamais le cas pour Gait. Il parle (beaucoup !^^), on parle de lui, mais jamais on ne peut lire ses pensées, ses doutes…


Jamais il ne commet d’erreur d’ailleurs ! La seule serait d’être resté auprès de Dagny jusqu’au bout mais elle est justifiée par son amour pour elle (qui arrive d’ailleurs comme un cheveu sur la soupe) et l’histoire ne manque pas de nous préciser qu’il avait BIEN SÛR réalisé que Dagny allait craquer et lui rendre visite. C’est lui d’ailleurs qui lui fournit le plan qui lui permettra de ne pas être soupçonnée suite à cette visite. En fait, dès qu’il apparait en chair et en os dans l’intrigue, tous les autres personnages s’affadissent terriblement : ils se laissent complètement dominer par lui, acceptent gracieusement dans le cas de Rearden et Francisco de se retirer de la compétition pour l’amour de Dagny (ce qui est d’ailleurs assez contraire à la morale du roman)… Bref, Gait est à la fois complètement vide et totalement envahissant et m’a gâché la fin du roman.


Pour conclure, je ne peux que conseiller ce roman, qui mérite sa place parmi les classiques des dystopies et m’a procuré de chouettes heures de lecture, mais ne peux que regretter ses énormes longueurs, qui auraient pourtant été si facilement évitables, et son personnage le plus important et de loin le plus décevant. Je suis néanmoins ravie d’avoir désormais une encore plus grande appréciation de la série des Bioshock maintenant que je peux m’imaginer que Rapture est le produit des descendants des habitants de la vallée ayant décidé de s’isoler encore plus complètement du reste de la population.Je finirais par une interrogation : qui a eu l’idée stupide de traduire le titre par « La grève » ? Non seulement on perd toute évocation de l’aspect surhumain des héros mais il s’agit tout de même d’un sacré spoiler.

Pikatyr
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le 7 févr. 2016

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