Trois jours en Loire-Atlantique. Je passe devant une bouquinerie, zieute sur "La méthode" d'Edgar Morin, avant que mon regard ne tombe sur le nom d'Arthur Schnitzler. Tiens, je l'ai vu en cours, celui-là. "La ronde", dans le cadre d'une étude sur le théâtre naturaliste, aux côtés de Becque, Gorki et Ibsen. Mais cette fois, ce n'est pas du théâtre, non. C'est un recueil de nouvelles, dont la quatrième de couverture me fait me dire "Allez, pourquoi pas". Il est toujours intéressant de lire ce que peut écrire un homme qui a été médecin, puis auteur. J'aime assister à la dissection du genre humain.


"La pénombre des âmes", c'est une suite de petites merveilles (avec une standing ovation pour "Fleurs", ma nouvelle préférée). Qu'est ce qu'on y voit ? L'amour, oui, la passion, violente et torturée, la paix, impossible et la mort, partout. Le titre du recueil illustre très bien cette oeuvre. On entre, en lisant, dans les âmes, la psyché, l'esprit, les pensées, la conscience - rayez la mention inutile - de personnages qui, ô merveille, sont très proches des personnes qui déambulent dans le réel. On assiste alors à une analyse, une dissection des sentiments. Schnitzler a un talent fou pour décortiquer le processus de la pensée humaine, et tout son cheminement. On voit comment les pensées évoluent, comment l'esprit passe de la passion, dopée par les sentiments, à la raison et la réflexion. On voit comment l'esprit se souvient, et pourquoi, et avec quelles retombées. Un lien très empathique s'installe entre le lecteur et le personnage qui sont, et l'expression s'y prête très bien, sur la même longueur d'ondes. Des ondes de pensées qui se connectent. Voilà ce qu'est "La pénombre des âmes".


On entre dans cette pénombre, pour faire face aux sentiments les plus vifs que peut éprouver un être humain : le manque, la folie, le souvenir, la suspicion, la cruauté, la lassitude, la honte, la peur, l'incertitude, l'infidélité, la recherche du calme, sans cesse chamboulée, et j'en passe.
C'est une plongée dans la pénombre de la psyché humaine - en eaux troubles et lourdes.


Schnitzler joue avec le lecteur, et sait le tenir en haleine. A plusieurs reprises, on entre de plain-pied dans le récit, sans indices, et tandis que l'histoire se déroule, on devine, on déduit. Commencer dans le trouble est très exaltant, parce qu'on évolue avec l'histoire, on apprend avec elle, et tandis qu'elle grandit, on la suit dans son ascension. Cet auteur manie aussi bien l'art de poser le récit, de le modeler, que d'écrire des dialogues et d'imaginer des personnages. C'est un ensemble parfaitement homogène, sans fausses notes ni accrocs.
Délicieux, quoi.


Je terminerais sur une citation - ce livre regorge de citations exquises - qui vous fera voir et le style, et la particularité de cette écriture : "C'en est fini de ma douce quiétude ; elle ne reviendra plus ; pas plus dans ma barque que sous la futaie des grands hêtres. Soudain, tout semble transformé. Les airs que joue l'orchestre sont gais et entraînants ; les passants bavardent ; les enfants crient et rient avec éclat. Même la mer, cette mer silencieuse que j'aimais, fouette bruyamment le rivage durant les nuits, maintenant. La vie, pour moi, est redevenue sonore. Jamais je n'avais quitté la maison le coeur aussi léger que cette fois-ci ; un chapitre de ma vie me semblait clôturé. Je venais de passer ma licence ave succès et j'avais rompu définitivement avec une illusion artistique de ma jeunesse, Mlle Jenny, devenue depuis peu l'épouse d'un horloger. J'avais donc eu le bonheur appréciable de partir en voyage, sans abandonner une maîtresse et sans emporter une illusion. L'impression d'avoir fait ainsi une scission dans ma vie m'avait procuré une réelle jouissance ; tout cela est fini, Frédérique est là." (extrait de "La femme d'un sage").


Le destin du baron de Leisenbogh (1904)
Fleurs (1894)
Géronimo l'aveugle et son frère (1900)
Le journal de Radegonde (1909)
La mort du vieux garçon (1907)
L'assassin (1912)
L'ombre de Gabriela (1907)
L'apothéose (1897)
La femme d'un sage (1897)
Les morts se taisent (1897

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le 19 juil. 2015

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