Quelle est la nature de la fatalité russe ? Fatalité, qui ferait échapper un peuple et un pays aux convergences de la mondialisation, qui les ferait diverger d'une évolution favorable émancipée de la lourdeur d'un passé écrasant. Y a-t-il une exception russe ? Nombreux sont les questionnements soulevés par les historiens depuis la fin de la Guerre Froide, qui auraient pu laisser penser que La Russie inachevée s'inscrirait dans la lignée de ces essais moitié critiques, moitié théoriques, dont les tentatives de réponse restent enfouies sous des amas de calques et de redites sans portée argumentative aucune, en somme. Pourtant il n'en est rien.

Hélène Carrère d'Encausse, historienne de la Russie, membre de l'Académie française depuis 1991, propose donc de parvenir à une ébauche de réflexion sur l'avenir immédiat du pays de sang et de fer, autour d'une approche historique entre décompositions et recompositions successives : le pouvoir total, bercé dans sa profonde tradition autocratique, ses chutes et ses restaurations, la tentation européenne et le rejet de cette appartenance, le retard sur tout, sur tous, et les effets tardifs de la conscience même de ce retard, une peur incommensurable de l'extérieur ainsi que sa double traduction dans l'expansion et l'agressivité. Sa problématique est simple : quel est le poids du passé russe dans son développement actuel, empêché comme il est par son retard économique, technologique et, désormais alarmant : démographique ? la Russie, dans les efforts qu'elle fournit pour se définir au sein de l'espace mondial, est-elle capable de fournir un système compatible avec sa propre survie et la permanence de son identité ? affaiblie, alors que jamais les chances de renaître à la liberté et de se "mondialiser" n'ont été aussi grandes pour elle : jusqu'à quel point serait-elle capable de s'émanciper de son passé ?

Hélène Carrère d'Encausse parvient ici à lier le passé historique russe à son présent. S'il était légitime pour elle de le faire ? la question ne se pose pas. Les interprétations qu'elle tire du régime politique et économique postcommuniste sont fortement influencées par la lecture de son histoire. Pour autant, l'ouvrage est modestement écrit, et se contente simplement de tirer les principaux traits, les conséquences plus ou moins immédiates des régimes qui se sont succédé sur la fin des 300 ans de règne de la dynastie des Romanov. On aurait pu s'attendre à une composition plus scolaire de la part de son auteur, dans la continuité de sa biographie de Nicolas II, il n'en est rien. Le livre se donne à lire sur la manière d'un roman historique : les interludes interprétatives sont mesurées, agrémentées de nombreuses digressions et rappels. C'est léger, bien écrit, surprenant pour un travail de cette envergure.
MarieFbg
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le 15 avr. 2012

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