Cette étude au sous-titre initial ridicule « Révélations aux portes de la mort » constitue une belle découverte Sens Critique ( merci à SpannungsBogen de l’avoir si bien noté.)
Le journaliste Patrice Van Eersel m’était inconnu bien qu’il occupe une place non négligeable dans le monde du journalisme et de l’édition.
Après avoir expliqué comment il en est arrivé à s’intéresser aux expériences de mort imminente (EMI), il nous présente sur un ton vif et stupéfait, de façon semble-t-il objective, ce que son enquête lui a permis de découvrir auprès de quelques médecins pionniers dans l’accompagnement des mourants.
Ce n’est qu’au milieu du 20ème siècle, en partie en raison du développement des techniques de réanimation, qu’on commence à s’intéresser aux récits de de nombreux patients, jusqu’alors peu écoutés par un corps médical considérant la mort comme un échec, presque un affront à leur art. Il faudra un médecin suisse ayant traversé la fin de la Seconde Guerre mondiale : Elisabeth Kübler-Ross, pionnière des soins palliatifs, et un psychiatre à la formation philosophique : Raymond Moody, pour commencer à recouper leurs témoignages et enfin appliquer une démarche scientifique dans l’étude du monde étonnement méconnu de la fin de vie.
Ces témoignages ont de tous temps été considérés comme des fables, des allégories, ou le délire de mourants soumis au stress. Platon, dans sa République, en fait peut-être le premier récit avec le cas de ce soldat : Er, laissé pour mort sur un champ de bataille et rapportant à son réveil avoir voyagé hors de son corps, avoir rencontré d’autres morts dans une vallée où sa progression a été brutalement interrompue. Platon en a fait un mythe. Le 20 ème siècle redécouvre brutalement que ces milliers de témoignages racontant tous à peu près la même expérience ne sont pas des affabulations.
Car longtemps la médecine a ignoré ce problème. Jusqu’à ce que les développements conjoints de la psychologie, de la psychanalyse, de la psychiatrie et de l’étude du cerveau l’étudient scientifiquement. Et le problème posé par les physiologistes a été : comment un mécanisme qu’ils pensaient purement chimique peut avoir une incidence à très long terme sur la vie des patients ? Si ces images, ces impressions, ces sensations rapportées ne sont que des effets de substances délivrées par le stress dû à l’approche de la mort, pourquoi constate-t-on dans un pourcentage non négligeable des changements durables dans la personnalité, les valeurs, les croyances des « rescapés » - en particulier, après leur expérience, ils sont tous avides de connaissances, même les moins éduqués se mettent à des études parfois difficiles ? Pourquoi, avant la médiatisation de ces récits d’EMI, dans des pays et des cultures très différents, ont-ils tous les mêmes caractéristiques ?
Les récits se succèdent, dûment répertoriés par les scientifiques ( le cardiologue Michael Sabom en référencera beaucoup). L’étude des récits fera apparaître systématiquement 5 stades. Le 5ème laissant le patient, ayant comme « quitté son corps », approcher d’une source de lumière qu’il qualifie d’amour absolu, de conscience absolue.
Dans son étude des liens entre l’étude du cerveau et les EMI, tout un chapitre est consacré à la rencontre entre le journaliste et David Bohm, éminent physicien théorique des quantas qui a donné son nom à de prestigieuses découvertes : la théorie de De Broglie- Bohm mais surtout la théorie de l’ordre implicite évoqué dans l’essai : « Dans l'ordre implicite (ou implié), l'espace et le temps ne sont plus les facteurs dominants qui déterminent les relations de dépendance ou d'indépendance entre les éléments. Un type entièrement différent de connexions fondamentales est possible, dont nos notions ordinaires de temps et d'espace, ainsi que celles relatives à des particules existant séparément, deviennent des abstractions de formes dérivées d'un ordre plus profond. Ces notions ordinaires apparaissent dans ce qui est appelé l'ordre explicite (ou déplié), qui est une forme spéciale et distincte contenue dans la totalité générale de tous les ordres implicites / impliés. » Ainsi « toute matière appartient à l’ordre impliqué où toutes les choses sont vivantes. Ce que nous appelons mort est une abstraction. » [ Les citations de Bohm ne se trouvent pas dans l’essai mais résument bien le fond des idées échangée entre P.Van Eersel et Bohm ]
« Ce que nous appelons la mort est une abstraction »… Voilà peut-être l’essentiel de ce qu’il faut retenir de ces études. Tous ceux qui ont été entendus dans le cadre d’une EMI expliquent qu’ils n’ont plus peur de la mort. Pas au point de la souhaiter : au contraire, l’avoir approchée décuple l’amour de la vie puisqu’il est si compréhensible que notre rapport à la mort donne son prix à la vie…
Le seul défaut de ce livre à mes yeux c’est qu’il se termine sur des voies « exotiques » datées années 70/80 : les « nouvelles spiritualités », le yoga… alors qu’il élude complètement l’aspect religieux qui s’impose pourtant sur un tel sujet ! Mais l’auteur semble avoir une approche étonnament méfiante de la religion. Une exploration du mysticisme chrétien aurait par exemple eu plus d’intérêt plutôt que d’aller chercher la même chose dans les autres cultures ( bien entendu intéressantes et enrichissantes, mais pourquoi ne pas explorer AUSSI sa propre culture, tout aussi riche ?)

jaklin
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le 22 mai 2020

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