J’ai mis longtemps à comprendre ce que c’était que ce Jean-Philippe Toussaint. Moi qui ai longtemps cru qu’un écrivain se devait d’être solitaire et alcoolique, j’avais du mal à cerner ce grand dadais chauve, vaguement intellectuel, amateur de sport à la télévision, qui se met en scène, dans ses romans, sur le registre comique. J’ai été très étonné d’apprendre, notamment, que la sortie de son premier roman, La Salle de bain, a été une espèce d’événement dans le monde littéraire, et que le livre s’est immédiatement vendu à des dizaines de milliers d’exemplaires. Par quel miracle, par quel tour de passe-passe ? N’écoutant que ma mauvaise foi, j’avais tendance à expliquer ce grand succès par le seul prestige de sa maison d’édition – que je ne vous ferai pas l’affront de nommer ici. Je tâchais bien de le lire, mais rien à faire, ce que cette prose avait de si merveilleuse, derrière son élégance un peu plate, j’étais incapable de le comprendre.


C’était quoi, mon problème ? Pourquoi je ne m’identifiais pas ? Est-ce que les aventures du « héros » étaient trop dérisoires ? Pas assez rock n’roll ? Étais-je donc accro à l’adrénaline, à l’intensité, pour ne pas savoir apprécier ce personnage casanier aux pantoufles bien accrochées au sol de son parquet lustré ?


C’est alors qu’est arrivé le couvre-feu et avec lui, de longues soirées d’hiver à occuper. Vaquant au hasard dans les deux pièces de mon appartement, à la recherche de quelque chose à faire, j’ai enfin vu ma baignoire comme ce qu’elle pouvait être : une cuve à remplir d’eau chaude pour y passer une heure ou deux – en compagnie de soi-même ou d’un bon livre. C’est dans ces circonstances que je me suis essayé à nouveau à la lecture de JPT, pour les intimes. Et... Et... Je me suis pris au jeu. Enfin, il m’est apparu ce que c’était, qu’un roman de Jean-Philippe Toussaint. On y suit – tout bêtement – les aventures, sur le registre burlesque, d’un narrateur à l’humour pince-sans-rire, un rien libidineux, et à l’écriture extrêmement méticuleuse. C’est tout. C’est drôle. C’est suffisant.


La quatrième de couverture de La Télévision, par l’intermédiaire d’un illustre journaliste du Monde, parle de « crise de la représentation » – ce n'est peut-être pas faux. Mais cela n’est peut-être même pas nécessaire pour expliquer le charme qu’il y a à lire cet auteur : pas besoin, vraiment, de grands concepts philosophiques. Juste d’une baignoire – et d’une conscience écologique pas trop tatillonne (pardonnez-moi).


Scènes de bain, donc, de café matinal dans une ville encore endormie, de promenade dans des librairies… Avant d’éblouir – et il éblouit, il éblouit –, Jean-Philippe Toussaint panse nos blessures. Avec lui, plus besoin de singer l’héroïsme, les aventures du quotidien valent bien la peine qu’on les vive, il révèle, pour notre plus grand bonheur, le registre doux et calme – suffisant – de nos vies.


Mais je parlais un peu plus haut d’un type qui garde ses pantoufles bien campées au sol de son salon. C’était faux. Car l’auteur peut aussi nous faire planer bien haut, comme lorsqu’il monte dans un vieil avion à réaction, en compagnie d’un ami qui ressemble à la Joconde– à ce qu’il paraît. Allez, on prend de la hauteur, et on embarque pour la balade. Ça vaut le coup d’œil.

Peter_Saras
9
Écrit par

Créée

le 18 janv. 2021

Critique lue 183 fois

2 j'aime

Critique lue 183 fois

2

D'autres avis sur La Télévision

La Télévision
durandal
5

Critique de La Télévision par durandal

Il paraît que ce livre est remarquablement écrit. Peut-être, mais je m'y suis quand même bien souvent ennuyé. Sorti d'une scène cocasse, je n'ai pas trouvé beaucoup d'intérêt à ce livre.

le 13 juin 2011

1 j'aime

La Télévision
renardquif
8

Critique de La Télévision par renardquif

-Probablement le dernier bon livre de cet écrivain, j'aime beaucoup sa première période, charmante et légère et rigolote, à laquelle ce livre appartient je trouve; puis après ça il y'a des livres où...

le 19 mai 2023

La Télévision
Aymericdt
5

Eteignez la téloche

Un homme décide un été de ne plus allumer sa télé afin de travailler sa thèse d’Histoire de l’Art. Un livre sur ce qui se passe lorsqu’il ne se passe rien, sans l’adresse de Perec dans Un Homme qui...

le 28 nov. 2022

Du même critique

Into the Wild
Peter_Saras
9

Pire que le coronavirus

J'ai vu ce film à 15 ans et j'ai tout gobé comme un con. Si tu es un ado mal dans tes pompes, ne regarde pas ce film, ça pourrait mal finir. Tu pourrais toi aussi vouloir partir dans la nature...

le 9 août 2015

17 j'aime

4

Ada ou l'Ardeur
Peter_Saras
10

Critique de Ada ou l'Ardeur par Démon S'en-Va-en-Guerre

Nabokov n'est pas seulement l'auteur de Lolita. Ça serait déjà pas mal, bien sûr. Oui mais voilà, ce n'est pas tout. Il y a plus. Il y a mieux. Vous ne pensiez pas que c'était possible ...

le 12 août 2015

16 j'aime

Le premier méchant
Peter_Saras
8

Pathétiques et fiers de l'être

Miranda July a du talent (beaucoup de talent, ça s'appelle du génie?) et en plus elle a l'air de savoir quoi en faire. Elle écrit pour de vrai. Elle écrit des vrais livres. Flammarion a raison de lui...

le 9 févr. 2016

7 j'aime