Titre trompeur que la traduction de The Good Terrorist de Doris Lessing en un apparat sobre « La Terroriste », chez Albin Michel. Difficilement trouvable, alors qu’il existe en poche, ce roman de Doris Lessing se déroule dans l’Angleterre des années quatre-vingt, à l’époque où Margaret Tatcher ouvrait les vannes du libéralisme en Albion, pendant que des jeunes esseulés, révoltés, ulcérés par la marche de leur pays, décidaient de mettre en scène leur désaccord. Parmi ces gens, une femme, Alice, plus âgée qu’eux, passionnée et ingénue à la fois, affectueuse comme peut l’être une mère de substitution envers un fils certes ingrat, mais un fils qu’elle aurait adopté, se fait un devoir de lui créer un environnement agréable, à lui et ses « amis », dans le cadre des enseignements que tout révolutionnaire se doit d’appliquer au quotidien.


C’est toute la logistique de ce que supposerait une révolution qui est décortiquée par Doris Lessing, dans La Terroriste. Point de sabotage ni de kamikaze, mais un quotidien qui paradoxalement est plus que jamais présent, dès lors qu’on cherche à y échapper. Les affres de l’administration constituent un des travers de nos sociétés modernes, avec lequel l’homme normal et normé ne peut que composer. Sans travail, des allocations. Avec ces allocations, impossible de se porter garant pour l’eau, l’électricité, le gaz. La liberté de ces révolutionnaires s’obtient grâce à ceux qu’ils passent leur temps à honnir, les « bourgeois fascistes ». Leur mode de vie, sans propriété, exige justement d’obtenir sans la permission d’autrui un squat, pour en faire par extension leur quartier général, fermé de facto à l’étranger, dont le caractère autre ne concerne pas son étant, mais ses idées. En d’autres termes, ces révolutionnaires se définissent en premier lieu par leurs valeurs, avant leur individualité. C’est avec eux que Doris Lessing joue, disséminant ça et là des références probables à son passé, elle qui s’est un temps intéressée aux mouvements politiques de gauche, pour ensuite s’en écarter. Elle n’y va pas de main morte, en donnant à voir une palette d’individus auxquels il est difficile d’accorder la moindre empathie, tant leurs simagrées, pathétiques, donne à ricaner tout au long de la lecture du livre, tant le cynisme déployé est de grande qualité.


Pour autant, les finesses d’analyse psychologique de Doris Lessing structurent le récit, en évitant la création de personnages qui ne seraient que des avatars insipides rencontrés dans la vie réelle. Chaque protagoniste, même secondaire, bénéficie d’une certaine épaisseur, comme Jane Austen le faisait pour ses propres romans. Cette tangibilité, obtenue astucieusement par l’intermédiaire du personnage d’Alice, lui prodigue par compensation envers sa naïveté une faculté d’interprétation des comportements des autres supérieure à la moyenne, à l’instar d’un prince Mychkine. Littéralement, Alice est « L’Idiote » de Doris Lessing, celle que tous prennent pour une bonne à tout faire, bête comme ses pieds, quand de manière irrésistible ils l’admirent plus que tout pour ses dons qui rendent le quotidien plus simple à vivre. Car la plupart de ceux qui participent à leur parti politique, dont la façade cache à peine leur envie d’en découdre avec les autorités pour se sentir facticement vivre, sont des bourgeois déclassés, que la crise a précipité en dehors des groupes sociaux gagnants, et qui embrassent ainsi la défense des pauvres, par pure projection de leur propre situation d’inadapté à l’intelligence médiocre.


Il y en aurait des leçons à tirer, de La terroriste. De la vanité des individus qui piaillent « à gauche, à gauche », en se rassemblant par petits tas dans des partis toujours plus divisés les uns des autres, incapables de s’entendre, dont la propension à brasser de l’air est édifiante. Que nous sommes toujours l’exploité de quelqu’un d’autre, même quand il ne reste que les miettes du gâteau à partager ; un enseignement, amer s’il en est, souvent masqué sous une couche fantasmagorique de bonnes intentions dans la littérature ou au cinéma, qui dans le réel n’existent presque jamais (pour autant, Heureux comme Lazzaro en parle avec éloquence). Que quand l’ensemble rejette un individu, en vérité, ce n’est jamais par un raisonnement absurde. Que, enfin, les conséquences de tout ce spectacle n’ont que peu d’écho sur la société, et restent un amusement esthétique, bon à occuper pendant un certain temps ceux qui y croient dur comme fer. Au détriment de leur individuation.

-Ether
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le 4 janv. 2019

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