Fiches de cuisine, poésies et pièces de théâtre, contes, notices de fabrication de tel ou tel objet en même temps qu'encyclopédie, fiction philosophique... La Vallée de l'Eternel retour est un des livres les plus étranges et stimulant qu'il m'est été donnné de lire.


Ursula Le Guin, que l'on connaît pour ses livres de littérature de l'imaginaire comme les Dépossédés ou encore le formidable cycle de Terremer, livre ici une composition aussi complexe qu'étrange, tentant de faire une sorte d'anthropologie d'un peuple qui n'existe pas encore et dont les us et coutumes donnent à voir - c'est ce que j'ai pensé - ce que serait une sorte de socialisme détechnologisé.


Et pour cause, les Keshs ne sont pas fondamentalement "décroissants" pour employer un mot "anachronique" (de même que socialisme, mais faute de mieux, la façon dont la production est faite est très largement différente de la façon dont le capitalisme organise ces productions), mais l'humanité, à force de guerres, de destructions, de pollution, a peu à peu perdue son immense savoir passé, dont les Kesh ont délaissé la plupart pour en partager le nécessaire à leur vie paisible. L'électricité, et l'informatique, utilisés à très petites doses selon des règles sociales précises, sont les vestiges les plus complexes quoiqu'incomplets d'une civilisation désormais révolue.


Plutôt peuplade matrilinéaire que matriarcale, (voir ici https://fr.wikipedia.org/wiki/Famille_matrilin%C3%A9aire), les keshs mènent une vie riche mais paisible, ponctuée de rituels chamaniques, dans une attache à la nature qui fait que l'ensemble du vivant évolue selon une harmonie propre à la conception keshe du sensible.


Il ne faut pas voir ici la bête transposition de l'expérience de pensée suivante : "Que serait les être humains d'aujourd'hui s'ils vivaient en vraie communion avec la nature ?" . Il faut plutôt déceler une tentative véritable d'analyse d'un peuple si éloigné de nous.


Ce récit anthropologique, qui distille tout au long de ses pages de nombreux éléments venant de la littérature, la science et l'industrie keshes est ponctué par l'histoire de Roche Qui Raconte, au début jeune enfant qui va parcourir le monde aux côtés de son père venant d'une autre peuplade. Cette dernière est belliqueuse, véritablement patriarcale et en proie à une volonté sans fin - qui est celle du Roi - de concquérir l'ensemble des Terres qui composent son environnement immédiat et au delà.


Cela met en exergue les différences fondamentales de conceptions de ces deux peuples, et permet à Le Guin de faire une critique sous-jacente de cette civilisation qui est, par sa culture, sa philosophie, ses pratiques, celle qui est la plus fidèle à ce que nous sommes aujourd'hui, compris dans ce que nous sommes capables de faire de plus rétrograde et conservateur.


Cependant, à un jugement didactique Le Guin préfère la description factuelle mais faussement ingénue sous l'oeil de Roche Qui Raconte.


La Vallée de l'éternel retour est donc un livre très étrange, un livre somme sur quelque chose qui n'a pas existé, mais dont pourtant chaque parcelle qui compose le récit sont des réminescences de notre civilisation à nous, épurée ou au contraire exarcerbée dans ce qu'elle fait que de mieux ou de pire. Cependant, garder cette vision manichéenne du peuple Kesh et des autres qui tiennent ce récit serait manquer l'originalité de ces derniers, quels qu'ils soient. Tandis que Kalpa Imperial de Gorodisher nous racontait les chutes éternelles d'un empire constamment ressuscité, Ursula Le Guin, qui fut sa traductrice, nous livre un arrêt sur image anthropologique d'une lignée humaine aussi étrange qu'enthousiasmante.

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le 6 mai 2021

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