On rejette ce qu'on ne peut pas comprendre

À la fin de ma lecture du roman de Millet, ma colère longtemps contenue a enfin éclaté. C’est donc cet écrivain que la bien pensance du monde littéraire avec à sa tête la très enragée Annie Ernaux, ci-devant prix Nobel, a ostracisé, vilipendé, rendu invisible ! Est-ce le rôle d’une consoeur en littérature de parler à propos du livre de Millet " Eloge littéraire d’Anders Breivik" de « pamphlet fasciste qui déshonore la littérature ». Elle lui en a sûrement voulu d’avoir osé parler de son propre terrorisme gauchiste dans "De l’antiracisme comme terreur littéraire".

C’est donc cet écrivain au style ample et subtil et à l’exigence devenue si rare qui est mis au ban de la société pour avoir osé utiliser le second degré, un titre choquant et une pensée moins binaire que ce qu’on ne pourra jamais trouver chez Annie Ernaux ?

Certes, Millet ne choisit pas les chemins consensuels. Après avoir savouré son essai sur la langue française Français, langue morte, j’ai voulu essayer d’encore mieux comprendre cet homme, éditeur de grands romans chez Gallimard, auquel on doit en particulier l’immense « Les bienveillantes » de Littell.

Bien sûr, ce personnage voulant devenir écrivain et qui part faire la guerre à Beyrouth contre les palestiniens mieux équipés et bénéficiant du soutien de l’opinion publique occidentale, c’est un peu lui, découvrant peu à peu au sein du conflit à la fois son identité chrétienne devant les massacres perpétrés par les palestiniens et son identité d’écrivain, mais c’est aussi plus que lui-même. Ce qui se joue dans la guerre, c’est l’humain, éclairé par l’inhumain, et finalement magnifié par la littérature dont il a une haute idée.

J’ai été assez déstabilisée (et j’imaginais la pauvre Annie Ernaux si elle avait essayé de lire ce roman) devant la complexité psychologique de Millet teintée de masochisme. Il avoue le pire et sait dire aussi le meilleur, par exemple, il fait preuve d’une analyse politique étonnamment libre : « Pouvait-on en outre prévoir que l’Etat libanais, travaillé en profondeur par les activistes nassériens et prosyriens, deviendrait assez faible pour signer en 1969 les accords du Caire par lesquels les palestiniens se serviraient du Liban comme d’une base pour attaquer Israël, et que les chiites relèveraient la tête à cause de leur fécondité et, plus tard, de la révolution iranienne et du développement du terrorisme international qui a sa souche mère dans le romantisme irrédentiste palestinien ? » (Gallimard P. 269). Son psychisme est complexe : fin connaisseur du monde arabe ( il a vécu plusieurs années au Liban), son personnage exprime une critique très argumentée de l’islam et des musulmans qui sont ses ennemis au sein du conflit ; il répond à la cruauté de « ces palestino-progressistes qui, en cet hiver 1976, saccageaient des églises et des cimetières en clamant que chaque goutte de sang versée était un pas vers la libération de la Palestine, alors que les chrétiens n’ont pas profané une seule mosquée » (p.261) par sa propre cruauté, alors qu’il semble souvent si démuni, si seul, si en souffrance. Un homme complexe comme souvent le sont ceux qui sont dotés d’une grande intelligence. Un homme qui peut déplaire, c’est évident. Mais un écrivain qu’il est nécessaire de lire ne serait-ce que pour le lien qu’il établit entre l'acte d’écrire, la mort et l’humain.

Attention, c’est une lecture difficile à tous points de vue, par sa longueur, plus de 500 pages, son style, admirateur de Proust ses phrases peuvent être démesurées, mais aussi sa pensée.

Critique écrite en Août 2023

jaklin
8
Écrit par

Créée

le 20 nov. 2023

Critique lue 323 fois

17 j'aime

9 commentaires

jaklin

Écrit par

Critique lue 323 fois

17
9

D'autres avis sur La confession négative

La confession négative
Galderon
10

Leçon de mort sans concession.

Difficile de faire un retour sur l'ouvrage d'un auteur qui a été tant critiqué récemment : son dernier ouvrage, sur le massacre perpétré par Anders Breivik, a vite fait de le blacklister auprès de...

le 28 sept. 2013

5 j'aime

3

La confession négative
vico12
8

Critique de La confession négative par vico12

"Je heurtais donc ces jeunes Libanais qui ne pouvaient croire à la déchristianisation d'une civilisation, l'occidentale, dont ils attendaient qu'elle les sauve, alors qu'elle creusait une fosse...

le 3 sept. 2017

2 j'aime

1

La confession négative
troudballe29
3

Critique de La confession négative par Marcel Menteur

J'avais depuis longtemps décidé de ne plus lire ce qui m'ennuyait ou qui ne relevait pas de la grande littérature(page 480 sur les 520 que comptent le bouquin)Merci Richard, j'applique dès maintenant...

le 6 juil. 2022

1 j'aime

5

Du même critique

L'Étranger
jaklin
8

L’ athéisme triste ou le triste athéisme

Après l’approche assez originale de Daoud, il est temps de revenir sur un devenu classique hors- norme : L’ Étranger de Camus. Tant il est me semble t’il aimé pour de mauvaises raisons : une langue...

le 22 août 2018

56 j'aime

91

Douze Hommes en colère
jaklin
9

La puissance du Bien

« 12 hommes en colère » est l’un des films que j’ai le plus vus, avec fascination, avec émotion. C’est un huis-clos étouffant donnant pourtant à l’espace réduit une grandeur étonnante – et le...

le 17 févr. 2019

53 j'aime

34

Les Français malades de leurs mots
jaklin
7

La langue chargée

Etudiant l’abâtardissement de la langue française , Loïc Madec met à nu une France « ahurie et poltronne ». De la culture populaire au jargon des élites, la langue révèle le profond affaiblissement...

le 26 juil. 2019

49 j'aime

125