Outre que l'Harmattan édite souvent à compte d'auteur, la maison se contente d'un prêt à tirer fourni par l'auteur et reposant sur sa maîtrise de la typo et de l'orthographe. Il est assez fréquent, dans cette maison, de trouver des livres mal édités. Celui-ci n'est pas le pire. Cela dit, j'ai pas mal de choses à reprocher à cet ouvrage, outre sa syntaxe parfois défaillante (c'est un détail).

Il est organisé selon la chronologie du développement, de l'enfance à l'âge adulte, avec points d'arrêts sur couple, sexualité, parentalité, etc. et dysfonctionnements associés. Sans être d'une densité phénoménale, il est assez rhapsodique (trop d'incises sans intérêt pour le propos) et aurait pu être assez largement condensé.

Côté méthodologie... c'est le silence. Il y est fait allusion à des "collaborateurs" ayant travaillé avec l'auteur : ils ne seront jamais cités, non plus que leur nombre fourni. Les comptes-rendus cliniques occupent une place toute spartiate. Le silence sur la littérature classique en domaine anglo-américain (dont Dabrowski) et l'absence quasi-totale de références précises, sinon une expérience significative réalisée dans le seul domaine français, ne sont pas non plus faits pour me le rendre très sympathique - trop de soupçons en cours de lecture sur la démarche scientifique de l'auteur. Tout cela, à mon sens, manque d'une méthode claire, de focus, de conscience des limites de son sujet et des limites au regard de son sujet.

Quant à la matière, on balade le lecteur en des pages parfaitement inutiles avant d'en arriver au coeur de l'apport de l'auteur au sujet : les structures mères organisatrices du lien cognitif-affectif. On ne lui fournit alors pas assez d'information pour en _justifier_ l'articulation interne, ni même l'existence. L'allusion aux travaux de Piaget - dans de tout autres domaines - ne me suffit franchement pas pour accorder quelque crédit à ce qui n'est, au fond, qu'une combinatoire de plus dans la série de celles ayant servi à rendre compte du psychisme, et d'autant moins qu'elle semble souvent ad hoc, et peut se montrer assez faible voire erronée par endroit, comme s'il s'agissait plus d'hypothèses de travail transitoires que de la théorie éprouvée que semble prétendre l'auteur.

S'il est vrai que le déploiement du jeu des structures mères les unes avec les autres semble pouvoir définir des pistes intéressante d'explication unitaire de certains phénomènes psychiques, et justifier parfois d'éléments d'accompagnement thérapeutique - pour ce que j'en vois, rarement au-delà d'un certain "bon sens" psychologique -, tout cela sent terriblement l'outil phénoménologique que tout psy se construit, et qui lui sert, à lui, pour s'y retrouver dans les dédales que sont ses patients, plus que l'outil d'un travail théorique généralisable au psychisme.

Les descriptions générales se voient alors complétés de la façon dont sont sensées les aborder/vivre les personnes surdouées. Sur ce point, je ne sais souvent pas trop comment recevoir ce que raconte l'auteur - parfois, j'y reconnais des éléments trouvés ailleurs dans la littérature sur le sujet, parfois, un truc comme "de nombreuses personnes qui présentent une douance ont des difficultés d'accès à cette explicitation du ressenti, de l'affect", m'a fait hausser les sourcils : eût-il été question d'Asperger, j'eusse compris, mais cette allégation me semble orthogonale à ce que j'ai appris du sujet ; d'autant que "nombreuses" appelle un élément quantitatif ou à tout le moins une justification, que l'ouvrage ne donnera pas. Mais on est souvent très loin de toute psychologie sérieuse, et donc d'éléments permettant de consolider la rationalité du savoir. Le tout souffre du manque d'une unité d'approche, les structures mères ne suffisant pas, loin de là, à rendre compte du sujet.

Un autre exemple : J'ai beaucoup tiqué sur les passages relatifs au couple. En gros, si l'on a une conception assez traditionnelle du couple (hantise de l'abominable fusion, durabilité, fidélité, gestion des justes conflits, etc.), il peut peut-être y avoir des éléments intéressants dans les pages qui en traitent. Mais si l'on vit les relations amoureuses sans qu'elles ne se limitent au couple ou le couple aux relations amoureuses, ces paragraphes sont le plus souvent irritants. Je passe sur les questions de genre et d'identité genrée - la question est rapidement abordée avec une confusion sidérante dans le vocabulaire (confusion genre/sexe à peu près partout) -, l'auteur ne semblant pas considérer qu'on pût être trans (mais homo, oui, c'est dit en filigrane) et noyant son ignorance dans des conseils aux parents sur la façon d'élever leurs enfants mâtinés ici ou là d'anciens poncifs sur les petites filles jouant à être enceintes (d'un coussin) dès l'âge de trois ans. J'en ai cru, de façon erronée mais pendant de loooongues pages, à une position ultra-conservatrice.

Au final, je ne sais que penser de ce que Bak avance. A mon sens, son exposé est très prématuré au regard de l'avancement de sa réflexion théorique et méthodologique. Les caractères fouillis du contenu et rhapsodique du style (qui font presque penser à plusieurs auteurs) n'aident pour le moins pas à rassurer sur la force des éléments présentés. Tout cela sent le carnet de notes remaniés - ou une faiblesse de réflexion, qui ne permet pas de juger de la qualité d'une pratique, cela va sans dire.

Bref, je n'aime guère ce livre, imprécis et bâclé. Peut-être dit-il des choses dignes d'intérêt, mais, trop imprécis pour donner un réel accès à la critique, il me laisse beaucoup trop de raisons de m'en méfier - malgré les deux ou trois points qui ont pu capter mon attention ici et là (de trop courts paragraphes sur la prévalence des troubles du sommeil, la façon dont un psy utilise des schémas pour se forger une méthode d'approche, la façon dont ces schémas sont à même de transmettre quelque chose - aussi lacunaire cela soit-il - sur les organisations psychique et axiologique des sujets, quelques éléments de description factuelle).
Kliban
3
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Sciences cwèm, Psychismes en folie et Surefficients, surdoués et autres enzébrés du bulbe

Créée

le 14 févr. 2015

Critique lue 758 fois

4 j'aime

Kliban

Écrit par

Critique lue 758 fois

4

Du même critique

Le Premier Sexe
Kliban
3

Critique de Le Premier Sexe par Kliban

Impossible de mettre la note minimale à Zemmour. Non parce que le livre vaudrait quelque chose. Objectivement, le lire est une perte de temps - sauf pour ceux qui sont déjà convaincus et se...

le 14 nov. 2010

47 j'aime

22

Tao-tö king
Kliban
10

Autant en emporte le vent

Noter le Tao Te King, c'est noter le vent et c'est noter une traduction. Comme le site n'admet pas les doublons, je note le vent. Et comme le vent passe toutes les notes, mon humeur étant à cette...

le 7 nov. 2010

46 j'aime

Alice au pays des merveilles
Kliban
10

Top Disney

C'est sans doute l'une des meilleures adaptation des studio Disney. Et on ne peut malheureusement la goûter si on ne connaît pas son Wonderland et Looking Glass sur la bout des doigts ou presque...

le 24 déc. 2010

40 j'aime