Silvia Avallone et Eleanor Catton. Respectivement italienne et néo-zélandaise. Moins de 25 ans l'une et l'autre, quand elles écrivent leur premier roman, D'acier et La répétition, tous les deux parus cette année en France. Et un talent fou qui incite à parier sur elles, sans grand risque de se tromper. La comparaison s'arrêtera là : leurs livres sont aux antipodes, D'acier rappelle Zola, La répétition est sous influence shakespearienne. Eleanor Catton a d'abord rédigé un monologue de théâtre, qu'elle a ensuite transformé en roman. Mais l'idée générale est restée : écrire sur le voyeurisme, la perte de l'innocence, l'insincérité, la subjectivité des regards. Quoi de mieux que l'adolescence pour aborder ces sujets : cette partie de l'existence est comme une répétition de la vie d'adulte à venir, avec ses errements, sa recherche d'identité, sa lucidité cruelle. Tout part donc d'une relation entre une élève, mineure, et son prof de musique. Viol ou rapport consenti ? On ne le saura jamais et ce n'est pas ce qui intéresse l'auteure. Non, c'est le buzz autour de l'affaire, et comment les jeunes filles en fleurs (vénéneuses) de son lycée se l'approprient, avec toutes les questions sur leur sexualité qui s'en trouvent bouleversées. Si le point de départ de La répétition est relativement simple, l'architecture du roman est elle éminemment complexe. D'un côté, une prof de saxophone (sexe aphone), sorte de psy manipulatrice, à laquelle une poignée de lycéennes viennent confier les derniers potins et exprimer leurs états d'âme. De l'autre, des étudiants en théâtre qui décident d'adapter à leur sauce l'événement décrit plus haut. Deux intrigues qui finiront d'ailleurs par se rejoindre. Eleanor Catton est une virtuose des masques. Tout se confond dans son livre : réalité, fiction, fantasmes. Le lecteur, ballotté, n'a pas le choix des armes. Il lui faut accepter d'être dans le brouillard, souvent ; de se perdre dans les entrelacs du récit, parfois ; de se farcir des passages longuets, ça arrive. Moyennant quoi, ce jeu de rôles est des plus fascinants, d'autant que la romancière affirme qu'il lui est arrivé de procéder par écriture automatique. C'est possible, mais l'ensemble est sacrément maîtrisé, tour à tour raffiné et trivial, dans une prose politiquement incorrecte qui tient autant que de la provocation gratuite (les blagues pédophiles) que de la satire sociale la plus cruelle qui soit. Prenez son style, par exemple. Elle est capable de passer d'un langage djeuns à une langue précieuse, limite ampoulée. La répétition est une mascarade ébouriffante, un jeu théâtral irrévérencieux, dont Eleanor Catton tire les ficelles avec la dextérité d'un vieux briscard. Cela promet pour le futur.

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le 10 janv. 2017

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