Source d'inspiration de moult cycles et autres épopées de fantasy, l'univers des hommes du Nord a fait l'objet d'études plus sérieuses et documentées.
Ne disposant que de bien peu de sources directes, les chercheurs évoluent sur un terrain mouvant, essayant de retrouver la part de réalité du monde nordique dans un corpus où l'Histoire se mêle à la légende et vice-versa.

C'est dans cette brèche béante que William T. Vollmann s'engouffre. Usant des mêmes sources – Eddas, Flateyjarbók, Heimskrinla, Landnámabók et autre Saga d'Erik le Rouge –, il brode un récit à la manière des scaldes s'étendant du passé mythique de la Scandinavie à la colonisation avortée du Vinland.
Premier roman - appelé rêve - d'une série de sept, tous consacrés aux origines symboliques et légendaires de l'Amérique du Nord (quatre d'entre-eux ont été publiés à ce jour, dont deux en France : le présent ouvrage et Les Fusils), La Tunique de Glace s'apparente davantage à un long poème en prose, jalonné par des tueries. Un poème dont les muses s'appellent Vengeance et Jalousie, le tout sur fond de descriptions sublimes, à la limite du chamanisme.

Bien entendu, Vollmann ne prétend pas restituer une quelconque vérité historique. Il exprime juste ici la volonté de produire un choc esthétique. De produire du beau à défaut de vrai.
Si l'on peut me permettre un parallèle osé, La Tunique de Glace rappelle la manière de faire de Nicolas Winding Refn dans le film Le Guerrier silencieux aka Valhalla Rising. On y trouve le même mélange de violence et de poésie.

Trêve de tergiversation, entrons dans le vif du sujet. Il apparait tout à fait superflu de résumer ce roman fleuve dont la houle océanique et glaciale emporte le lecteur très loin, quelque part entre Groenland et terres septentrionales de l'Amérique du Nord. Cette succession d'histoires enchâssées dans un bel objet, illustré de dessins et de cartes stylisées, est de tout façon impossible à résumer, du moins sans craindre d'en atténuer le souffle.
À l'instar d'Homère ou d'Odin, William l'aveugle investit les âges obscurs de la Scandinavie, nous propulsant à l'époque des rois-ours changeurs de peau, en guerre permanente les uns contre les autres et jusque dans leur propre famille. Une période de fer et de sang, ou la magie des sorcières lapones et celle des trolls apportent leur part à une chronique historique passablement agitée.
Puis, au fur et à mesure que le pays se civilise, peut-être devrait-on même dire se christianise, l'action se déplace vers l'Islande, terre d'opportunité pour les bondi en manque de place, puis au Groenland et enfin dans ce pays de cocagne, du moins dans ce récit, que l'on appelle Vinland le bon.
On accompagne d'abord Erik le Rouge dans son exode vers l'Ouest. Un périple émaillé de frustration, de meurtres, de vengeance et d'un bannissement définitif. Puis, on suit sa descendance, Leif le chanceux et surtout sa fille bâtarde Freydis, dans leur voyages successifs, toujours plus loin vers l'Occident.
La figure féminine de Freydis se détache dans cette partie du roman, la marquant littéralement de son empreinte. Sa personnalité imposante, sa résolution implacable, empreinte de fourberie, et sa destinée (son pacte avec le dieu Tunique bleue) entraîne La Tunique de Glace vers le registre de la tragédie. Et son opposition avec Gutrid, la femme la plus belle de toutes, conduit inexorablement l'expédition des Groenlandais à sa perte.

Dans une langue somptueuse (le traducteur a dû s'amuser), un tantinet allégorique, mais il est vrai aussi parfois étouffante, voire grandiloquente, William T. Vollmann réinvente le paysage légendaire de la colonisation du Vinland. Il ne s'autorise que quelques petites digressions à l'époque contemporaine, comme pour souligner le décalage entre le mythe et la réalité plus prosaïque du quotidien.
Son écriture fait merveille, donnant de cette aventure humaine l'image d'un récit brutal, dépourvu d'héroïsme, où la conquête d'une terre nouvelle s'apparente à un viol, une souillure. Il convoque également les forces de la nature et les créatures magiques, conférant à son œuvre la dimension wagnérienne d'un crépuscule.

Bref, c'est peu de dire que ce roman impressionne, imprégrant durablement la mémoire. Inutile de surenchérir, je le recommande chaudement (huhu !).
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le 5 mars 2013

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