En France, le mois de juillet est souvent synonyme de vacances, farniente....Pour les fans de sport, c'est un mois frustrant où se succède des événements sportifs occasionnels/ponctuels, puis des creux, des rediffusions. Mais un rendez-vous sort du lot...Le Tour de France. En France donc, c'est un rendez-vous sportif incontournable comme un peu partout en Europe.

Pourtant, Le Tour de France (& le cyclisme sur route en général) ne jouit pas d'une côte d'amour exceptionnelle outre-Atlantique. Cela peut sembler paradoxal tant les valeurs véhiculées par le cyclisme sur route se rapprochent des principes mis en avant par les sports US: on peut citer pêle-mêle la dévotion d'une équipe à un leader (ou Franchise Player), les fameux lieutenants (sorte de second en chef du leader) chargé de protéger et propulser le leader, la sacro-sainte somme d’individualité aux rôles bien répartis (les dominants, les "seconds couteaux"), l'exaltation de la notion de sacrifice/souffrance...néanmoins avant Greg LeMond et Lance Armstrong, les Etats-Unis étaient une nation mineure du cyclisme sur route.

Ce livre explique comment un seul athlète a su "convertir" ses concitoyens à un sport jugé "mineur". Véritable travail d'investigation, cet ouvrage explique comment Lance Armstrong a su faire pédaler George Bush Jr., Ben Stiller et surtout comment a-t-il réussi à faire la pluie et le beau temps au sein d'un sport en pleine crise existentielle. Démonstration argumentée, le livre ne se contente pas de dresser une liste des (mé)faits de Lance Armstrong: en s'intéressant un peu plus à sa personnalité, à son background social/familial, on parvient à mieux apprécier l'entreprise Armstrong. Plus que le banal motto du tout pour la gagne, on comprend que la biographie de Lance Armstrong met en avant une tendance à la perversion narcissique, à une obsession pour la domination et une avidité sans limite (pécuniaire, sociale, familiale, sexuelle…), somme de facteurs expliquant le caractère machiavélique de sa carrière.

Bien au-delà de l'enrichissement du palmarès de l'athlète, de ses victoires, de ses combats, l'ouvrage explique comment le sportif est arrivé à régir durant presque une décennie un sport archi-dominé (sportivement mais aussi dans les arcanes) par les Européens. Et le récit de cette institutionnalisation par une poignée d'hommes aux yeux et aux sus de tous a de quoi faire froid dans le dos pour un sport qui porte encore les séquelles des années Armstrong.

Car l'histoire de Lance Armstrong a tout d'une success-story dont raffole les Américains (et les férus de sport en général): abandonné par son père, issu d'un milieu modeste au Texas, bourreau de sport (pratiquant assidu de triathlon avant de "bifurquer" sur la piste et la route), le jeune Lance Armstrong gravit les échelons vers le professionnalisme jusqu'à être stoppé net par un cancer des testicules. Ce combat et cette rémission, en plus d'aiguiser sa soif de revanche (car "coupé" par son équipe d'alors et jugé inapte à la reprise du cyclisme professionnel), sera utilisé par le texan comme un argument massue pour conquérir les cœurs, les sponsors, les éditeurs, les organisateurs. Livestrong, ses livres, sa dialectique (à faire passer Marc Levy pour un éminent philosophe [facile celle-là]), ses interventions, ses lignes de vêtements...seront autant de leviers utilisés par l'athlète pour asseoir ses revenus, marteler sa soif de domination (auprès des cyclistes, des medias, du sport et des politiques).

Bien sûr, au-delà de cette rémission, c'est le palmarès du Texan qui facilitera sa prise de pouvoir auprès de l'Union Cycliste Internationale (UCI): 7 maillots jaunes consécutifs sur Le Tour de France, Médaille de Bronze aux JO 2000, Champion du Monde sur Route en 1993, des équipes montées sur son seul nom et pour lui (ex: Motorola, US Postal comme Discovery Channel profiteront de l'exposition générée par Lance Armstrong pour investir à perte dans une équipe cycliste)...Durant une décennie, le livre décrit le règne sans partage du coureur. "Le Boss" n'hésitera pas à mater les récalcitrants (ex: Affaire Bassons), composer/décomposer des équipes selon l'utilité des coureurs (ex: Floyd Landis ou Tyler Hamilton). Cette main-mise ira jusque dans les hautes-sphères puisque le Texan bénéficiera des largesses de l'ex-président de l'UCI, Hern Verbruggen. Ainsi, par un "claquement de doigt", Lance Armstrong pouvait voir son test positif aux corticoïdes se retrouver caduc en 1999. Il en allait de même pour les opposants un peu trop farouche au Texan: le livre explique comment le "réseau" Armstrong pouvait discréditer et intimider (cela ira des coureurs jusqu'aux auteurs de l'ouvrage qui verront leurs rédacteurs en chef recevoir des pressions/intimidations).

Outre ce portrait "à charge", le livre démontre la révolution entreprise par Lance Armstrong. Et cette révolution est d'abord économique. Pour parvenir à remettre le cyclisme parmi les sports qui comptent, les plus sexys, Lance Armstrong s'improvise VRP et véritable évangélisateur. Face au bagout du Texan, les sponsors affluent (Nike, Oakley entre autre) ainsi que les chaînes de télévision.

Cette hausse de revenus permettra au coureur de se lancer dans une véritable course à l'armement technologique: les tests en soufflerie pour l'amélioration de la position sur le vélo, l'amélioration des tenues, de la diététique, du suivi médical et du matériel seront autant de termes qu'Armstrong érigera comme des principes inhérents à sa réussite.Amélioration technologique mais aussi "technique": outre la multiplication des reconnaissances des étapes bien en amont des épreuves, Lance Armstrong sait avoir un coup d'avance. Conscient de la sophistication des contrôles anti-dopage, il fera parti des premiers coureurs à expérimenter l'auto-transfusion.

Dire que pendant ces années, Lance Armstrong = cyclisme ne relèvera donc pas de l'abus. Ce que fait Armstrong est tout de suite scruté, dupliqué et copié...pour peu que les moyens financiers soient là, une bonne manière d'écarter la moindre concurrence en l'occurrence. Preuve encore de son poids dans le peloton, l'emprunt aux Sports US du "trash-talking" et de la déstabilisation: outre les arrangements financiers (pratique courante dans le cyclisme) pour gagner une étape, "Le Boss" n'hésitera pas à invectiver et humilier adversaires...comme coéquipiers!

De fait, si le coureur est à mettre sur le banc des accusés, le livre met en parallèle cette ère Armstrong avec la mutation de l'épreuve-reine du cyclisme sur route: à ce titre, Le Tour de France est peut-être l'épreuve ayant le plus bénéficié des avancées technologiques. Que ça soit dans la captation de l'événement, le suivi de l'épreuve, la couverture de l'événement ou les outils à disposition (pour chronométrer les écarts, les temps...), les années 2000 représentent un tournant dans la manière de percevoir Le Tour de France. Les hausses d'audience consécutives aux victoires du Texan conforteront cette ligne conductrice en plus d'amortir les investissements.

Aussi, Lance Armstrong représente tout ce dont pouvait rêver Le Tour de France: le "héros", grand vainqueur, bourreau de travail, méticuleux et doté d'une soif inextinguible de victoires! Bref, une vitrine rêvée, un ambassadeur justifiant des investissements et la promotion de l'événement à travers le monde.

Forcément, une promotion aussi intensive attise l'appétit et provoque la collusion d'intérêts. Le livre montre ainsi le mauvais mélange entre politique et sportifs et va jusqu'à déceler l'embryon d'un début de lobbying en faveur d'une candidature du Texan au poste de Gouverneur...En France, on peut citer les exemples de la démission de Pierre Bordry (ex-Président de l'Agence Française de Lutte Contre Le Dopage) consécutive...au déjeuner entre Nicolas Sarkozy et Lance Armstrong (et qui débouchera sur la réduction drastique des budgets alloués à l'agence). Autre exemple en France avec les "clashs" répétés entre L'Equipe et l'organisation du Tour de France, deux entreprises appartenant au même groupe (Amaury) et qui ne cesseront d'avoir des différends autour du cas Armstrong: devoir d'information argueront les uns, contre-publicité pour un événement sportif français majeur argueront les autres...

Ces exemples, et bien d'autres, attestent du caractère tentaculaire du Mainstream Armstrong. L'adage "Too Big To Fail" semblait coller au Texan tant il bénéficiait de couvertures pour le défendre. Ce culte du silence, de l'intimidation et la confiance aveugle de bien des suiveurs consolidera durablement l'aura du Texan jusqu'à son inexorable chute. En somme, et il le savait, une hypothétique chute aurait inexorablement un effet domino: de manière mécanique, tout un pan du cyclisme s'écroulerait mais péricliterait aussi sur initiative de Lance Armstrong (une menace agitée continuellement auprès de ceux qui savait et qui se retournera contre le Texan).

Bien des questions se posent au sortir de la lecture de ce livre: la performance à tout prix doit-elle être glorifiée jusqu’à taire ce qu’il y a de plus illicite/illégal ? Les coureurs, ex-coureurs ont et/ou auront à rendre des comptes sur le travestissement de leurs performances (on parle de comité de réconciliation). Mais quid des sponsors, organisateurs véritable bénéficiaire de cet âge doré?

En somme, Lance Armstrong est un « salaud » comme le cinéma aime en fabriquer. Cette personne tant aimée et que l’on aime aujourd’hui détester renferme peut-être l’équation la plus ardue pour le cyclisme (le sport ?): en effet, qu’entend-on par performance et qu’est-ce-qui demeure acceptable et répréhensible au nom d’une performance? Vaste question oscillant entre utopie, impératif économique, nécessaire relativisme (concurrence accrue entre les sports donc volonté de rendre plus sexy un sport connoté populaire, désuet) et cynisme.

Face à ce flou, Lance Armstrong n’a pas que gagné/perdu: il a su exploiter à merveilles des failles, ériger un système, des principes qui sont aujourd’hui encore utilisés (le wattage, la fréquence de pédalage, la soufflerie sont autant de « méthodes » affinées par la Team Armstrong) & a su insuffler un véritable vent de professionnalisation dans le monde du cyclisme.
RaZom
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le 29 juil. 2014

Modifiée

le 30 juil. 2014

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