Probablement écrite en 1590, plus sûrement publié en 1595, Le Conte de la bonne femme - appelé parfois en français Conte pour la veillée - fait partie de ces pièces élisabéthaines qui jouent sur la mise en abyme et sur le registre du merveilleux.


Tout commence avec trois jeunes hommes perdus dans une forêt la nuit, et accueillis par un forgeron et sa femme. Tandis que l'un des jeunes hommes s'en va dormir aux côtés du forgeron (ce qui donne lieu à une bonne grosse blague grivoise comme on en trouve régulièrement dans le théâtre élisabéthain), leur hôtesse va raconter une histoire, tout en s'emmêlant un peu les pinceaux, à ses deux compagnons pour leur faire passer le temps jusqu'au matin. Mais l'histoire prend vie devant leurs yeux et ceux du spectateur... Un vieux magicien maléfique qui prend l'apparence d'un jeune homme pour se faire aimer d'une jeune femme, Délia, qu'il a enlevée ; un chevalier errant à la recherche de cette dernière ; un autre chevalier ridicule suivi d'un bouffon et poursuivant le même but ; un homme parlant par énigmes, à moitié transformé en ours par le magicien, et dont la fiancée a été rendue folle par le même magicien ; son voisin et ses deux filles, l'une fort acariâtre, l'autre très laide ; une tête sortie d'un puits ; les deux frères de la jeune fille enlevée ; des moissonneurs chantant ; un jeune homme tout juste enterré qui revient sur terre sous la forme d'un esprit : c'est un défilé de personnages sortis des contes de fées, des romans de chevalerie, du folklore national, les histoires se croisant et s'entrecroisant sans cesse.


Car la particularité de cette pièce tient aux références littéraires qui jalonnent tout le texte. Peele se plaît à parodier les genres littéraires à travers le thème récurrent de la quête amoureuse, ne serait-ce déjà qu'en utilisant le procédé de la pièce dans la pièce, fréquemment usité à son époque, de manière très démonstrative. Et on reconnaîtra par exemple, même sans être connaisseur du folklore anglais, un conte traditionnel dans l'histoire des deux sœurs qui vont chercher de l'eau au puits - mais un conte de fées qui tourne à la farce. Par ailleurs, si la veine comique est omniprésente, on frôle le tragique sur la fin, Peele jouant ainsi sur différents registres.


Malgré l’aisance et la maîtrise de la parodie dont l'auteur fait preuve, on peut cependant facilement être déçu par la brièveté des scènes et le peu de développement des nombreuses intrigues, les événements principaux (délivrance de Délia, mort du magicien, levée des sorts qu'ils avaient tissés) étant expédiés très rapidement, et c'est rien de le dire. Il faut préciser que la pièce est courte et que tout un tas d'indices scrutés par les spécialistes, dont je vous ferai grâce, laisse à penser que Le Conte de la bonne femme était destiné à être joué lors d'une cérémonie de mariage de la noblesse de province, après la représentation d'une autre pièce. Ce qui explique la taille du texte, ainsi que les références littéraires, destinées à un public érudit. Et on peut imaginer que la mise en scène était plus prégnante que le texte - encore qu'à la fin du XVIème, on n'en soit pas encore aux décors et machineries du style de La Tempête.


Ce qui fait à mon sens du Conte de la bonne femme une pièce plus intéressante aujourd'hui pour son aspect documentaire concernant le théâtre élisabéthain qu'un pur plaisir de lecture.

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le 3 janv. 2019

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