Nous rencontrons des problèmes techniques sur la partie musique du site. Nous faisons de notre possible pour corriger le souci au plus vite.

Ouvrir un livre de Patrick Grainville, c'est subitement prendre conscience que la plupart des autres romans ne sont pas "écrits". Ecrire, c'est travailler la langue, et chez Grainville ce ne sont pas de vains mots.


On peut ouvrir le roman au hasard. Par exemple la première description du fameux tableau, qui donne son titre au livre :



Le tableau était infini. Il révélait toujours des détails insoupçonnés au spectateur maniaque de curiosité. De nouveaux angles. De nouveaux champs de chair, d'autres parcelles cultivées... On se demandait si c'était l'ogre qui dévorait son peuple ou ce dernier, vengeur, endiablé, bachique qui lui faisait payer tant d'années de despotisme. C'était les deux, cela entrait, sortait, bouffait, digérait, vomissait, déféquait. De délicieuses dentelles de danseuses nues se déhanchaient sur un orteil, l'autre était branlé par de jeunes damoiseaux lisses et dorés.



Beaucoup aimé aussi la description de la ruée des chevaux. Extrait :



(...) des mustangs émaciés comme des sabres, des danois à sang chaud, des pur-sang anglais, des arabes shagya dont la tête était si finie, si gracieuse qu'on eût dit un visage immaculé de fée, des barbes, des anglo-arabes, des arabes du désert, des buveurs de vent aux lignes pures.



Puis :



Le fleuve entier, tel un filon débondé d'or noir, d'or rouge. L'oeil hypnotisé se fondait dans la grande coulée de peaux luisantes, agglutinées en faisceaux fulgurants. Un amalgame de chevaux nus, de cous allongés, de flancs sinueux, de croupes. Le boucan était celui d'une bacchanales de paons, de satyres et de ménades noires.



Parfois, Grainville s'autorise une légèreté. Page 305 de l'édition du Seuil :



Il est si chiant, Shi !



Bref, qui aime la richesse de style et les allitérations risque fort de prendre plaisir aux 328 pages de ce Corps immense.


Pourquoi seulement 7,5, alors ?


Trop de cul.


Si, comme le dit Kundera, les personnages du romancier ne sont pas son reflet mais précisément ce qu'il fantasme, son prolongement inabouti pour ainsi dire, Grainville doit être un sacré frustré ! Il ne peut pas décrire une femme sans parler immédiatement de ses seins, de son cul et de sa vulve. En termes choisis, certes. Mais l'obsession finit par lasser un peu. A peu près tous les personnages n'ont qu'une idée en tête, baiser. Comme propos, c'est un peu court. Heureusement, Patrick Grainville nous gratifie de belles descriptions de la monstrueuse Shenghen, d'une horde de chevaux donc, et fait vivre les obsessions de ses personnages : Shi ne parvient pas à trouver l'amour malgré (ou à cause de ?) sa villa de rêve, et la pirouette finale avec le trans est savoureuse ; Lan est rongé par le souvenir de sa soeur violée et assassinée et se confronte à la question du pardon, face à un meurtrier qui ne cherche pas à se défendre ; Shan trouve l'amour avec un avocat, l'occasion d'évoquer l'attitude fine du pouvoir face aux révoltes des travailleurs ; An veut se venger d'une humiliation, cette rafle de putes, mais en voit rapidement les limites, avant de trouver, en Lan, l'âme soeur ; Jiao est un personnage haut en couleurs, parano absolu vis-à-vis du Japon, miraculeusement guéri par la vue du tableau.


Finalement, le personnage de Thomas, dont la 4ème de couverture nous laissait augurer qu'il serait central, est plutôt périphérique. Il finit avec Alice, puisque tout le roman n'est qu'un jeu de chaises musicales sexuelles.


Brillant le plus souvent, plus faible par moments (certains effets de styles sont un peu gratuits), globalement tout de même de la grande littérature.


7,5

Jduvi
7
Écrit par

Créée

le 18 juin 2021

Critique lue 103 fois

Jduvi

Écrit par

Critique lue 103 fois

Du même critique

R.M.N.
Jduvi
8

La bête humaine

[Critique à lire après avoir vu le film]Il paraît qu’un titre abscons peut être un handicap pour le succès d’un film ? J’avais, pour ma part, suffisamment apprécié les derniers films de Cristian...

le 6 oct. 2023

21 j'aime

5

Gloria Mundi
Jduvi
6

Un film ou un tract ?

Les Belges ont les frères Dardenne, les veinards. Les Anglais ont Ken Loach, c'est un peu moins bien. Nous, nous avons Robert Guédiguian, c'est encore un peu moins bien. Les deux derniers ont bien...

le 4 déc. 2019

16 j'aime

10

Le mal n'existe pas
Jduvi
7

Les maladroits

Voilà un film déconcertant. L'argument : un père et sa fille vivent au milieu des bois. Takumi est une sorte d'homme à tout faire pour ce village d'une contrée reculée. Hana est à l'école primaire,...

le 17 janv. 2024

15 j'aime

3