Si de nos jours la piraterie semble avoir le vent en poupe c'est principalement dû à la saga de films mettant en scène un Johnny Deep cabotin, ainsi qu'au manga fleuve One Piece. Mais a part ça, la piraterie dans le divertissement culturel a tout d'un cimetière des navires. Qu'à cela ne tienne, Stephane Beauverger a des rêves de grand large et des batailles homériques plein la tête et il a décidé de coucher tout ça sur le papier a travers une fresque épique où pirates de légende et failles spatiotemporelles s'entremêlent avec panache.
Dans les Caraïbes du XVIIe siècle ravagés à la fois par les conflits européens ainsi que par d'importantes déchirures dans les voiles du temps, le capitaine Henry Villon - ancien huguenot réchappé du siégé de la Rochelle en 1626 - mène tant bien que mal son équipage de batailles en coups d'état. Qu'il s'agisse de doucher les velléités de conquête espagnoles ou de repousser la flotte d'Alexandre le Grand ayant emprunté les couloirs du temps, le capitaine du Dechronologue est de tous les combats !
Mêlant avec brio événements historiques et concept de multivers, Le Dechronologue est une oeuvre aussi riche que dépaysante. Et si les férus d'Histoire peuvent y trouver leur compte, c'est également le cas des amoureux de science fiction. En effet, au delà des nombreux anachronismes engendrés par l'utilisation des Maravelas - des objets contemporains ayant traversé le temps comme des micros, des radios ou des 33 tours de Bob Dylan - la particularité du Dechronologue n'est autre que d'être un navire capable de tirer des boulets de temps.
Comprenez par là que si un tel projectile fait mouche, les fluctuations et autres imbrications temporelles vous annihileront de l'espace temps. Rien que ça ! Cette touche de fantastique est salvatrice dans le sens où Beauverger s'appuie sur un background historique parfaitement étudié mais également particulièrement dense qui peut avoir tendance à perdre le lecteur. Et là j'en arrive au principal défaut de l'ouvrage : sa structure dechronologique.
En effet, si le navire de Villon est éponyme de l'oeuvre, le titre s'explique également par des chapitres totalement mélangés et de facto dépourvus de toute chronologie. Ainsi le roman démarre par l'un des ultimes chapitres puis enchaine avec le second avant de nous propulser en plein milieu de l'intrigue, et cela jusqu'aux dernières pages quand le lecteur est finalement en mesure de remettre l'intégralité des évènements de la trentaine de chapitres dans le bon ordre. Malheureusement cette singularité est loin de ne présenter que des bons côtés.
Dans la mesure où l'intrigue brasse d'innombrables personnages, ces incessants retours en arrière ont tendance à complexifier - inutilement à mon avis - un récit riche et soigné qui n'a nullement besoin de ce genre d'artifices pour camoufler d'éventuelles lacunes dans sa construction. Car il est indéniable que l'histoire de Henry Villon - son passé, ses coups d'humeur, ses grains de folie et ses moments de bravoure - ainsi que l'univers dépeint par l'auteur sont captivants et vecteurs d'évasion.
Si je déplore une construction aussi tortueuse, cela n'enlève néanmoins rien à la qualité d'écriture de Stephane Beauverger qui retranscrit avec énormément de talent le journal intime d'un capitaine abîmé par la vie et s'abîmant dans l'alcool pour fuir une réputation de héros que ses exploits précèdent. Dès lors nous, lecteurs, devenons des moussaillons perdus dans les méandres d'un temps dont la structure échappe à notre emprise et où les décisions de l'émérite capitaine deviennent notre seule boussole.
Le Dechronologue est donc une lecture aussi enivrante qu’éprouvante, mais le plus important c'est bel et bien d'embarquer à bord de cette aventure dépaysante où, paradoxalement, on ne voit pas le temps passer.