Je n'ai pas lu ce livre, ça fait toujours bien pour commencer une critique.
Non je voulais parler (encore) de l'ouvrage Roland Barthes par Roland Barthes,


dont j'ai déjà parlé dans une critique sur la fiche associée, donc je me déplace sur cette fiche du même auteur mais pas d'un même ouvrage, qui semble parler cela dit de la jouissance du style, donc ma pensée ci-dessous n'y sera pas complètement déplacée, non pas qu'elle soit spécialement stylée, jugez vous-même de la lourdeur et des répétitions de ce paragraphe, mais parce qu'elle parle en partie du style lui-même.


Je voulais parler de Roland Barthes par Roland Barthes en rebondissant sur le premier aphorisme du livre, à la page cinquante, premier aphorisme après une grande section introductive de commentaires qu'il fait sur des photos de son intimité, premier aphorisme avant une longue série d'autres qui suivront. Ce premier aphorisme porte pour titre Actif/réactif:



Dans ce qu’il écrit, il y a deux textes. Le texte I est réactif, mû
par des indignations, des peurs, des ripostes intérieures, de petites
paranoïas, des défenses, des scènes. Le texte II est actif, mû par le
plaisir. Mais en s’écrivant, en se corrigeant, en se pliant à la
fiction du Style, le texte I devient lui-même actif ; dès lors il perd
sa peau réactive, qui ne subsiste plus que par plaques (dans de menues
parenthèses).



Le texte n’est humain que dans son premier jet, c’est-à-dire que dès que l’écriveur revient dessus pour en modifier ne serait-ce que la forme, pour le rendre plus acceptable à l’autre, le texte devient autre chose que simplement humain.


L’humain à la relecture de son propre texte, roman ou non, identifie comme par intuition certaines modifications nécessaires à ce que l’autre l’accepte, l’accepte lui l’écriveur et son texte, qui dès qu’ils existent simultanément ne forment plus qu’un, en ce que le texte sort ponctuellement l’écriveur de sa triviale humanité.


Autrement dit, l’humain n’aime pas que l’autre lui suggère un texte trop humain. Le trop humain, s’il veut l’être sur le papier, devra l’être avec les pincettes du style, et/ou de la logique, s’il veut qu’on l’accepte, et/ou qu’on le comprenne.


Accepter et comprendre étant d’ailleurs deux performances intrinsèquement liées. À noter que la capacité délibérative de l’être humain est telle qu’il peut accepter un texte logique peu stylé, et comprendre un texte stylé peu logique… c’est que l’homme est à la fois pensée et amour, et que les deux, c’est bien connu, le logos et le pathos, contribuent à l’esprit critique.


Il y a deux manières de critiquer un texte : dire en quoi on l’accepte ou non, et dire en quoi on le comprend. Ces deux performances je l’ai dit se nourrissent l’une l’autre, et sont donc simultanées. La variation existe cela dit dans la pondération que l’on fait de ces deux performances.


Le roman, en ce qu’il cherche davantage le sublime que la vérité, désire d’être accepté, davantage que d’être compris, bien que l’un n’aille pas sans l’autre.


Roland Barthes par exemple, dans l'essai Roland Barthes par Roland Barthes, en ce qu’il nous enclin à considérer tout ceci comme dit par un personnage de roman, nous suggère d’essayer d’accepter sa propre pensée, non pas comme une pensée qui serait acceptable ou non dans le réel, mais qui serait acceptable dans l’univers particulier du roman, là où la pensée est aussi une forme, celle du texte, et là où la pensée se dilate et se fragmente infiniment, se dissout et implose comme par principe même du roman, sybiline sur des centaines de pages.


Caractère sybillin beaucoup moins acceptable dans un essai.


Le roman se doit surtout d’accorder ses idées à son bon goût, quand bien même il ne se donne pas vocation à partager des idées, ce n’est pas la question.


Le roman donc crée l’écart avec le texte à vocation utilitaire. Le roman crée l’écart avec le réel, et doit beaucoup au style, qui porte par essence jouissive cet écart en lui. On pardonnera difficilement à un roman d’être sans style, comme on lui pardonnera aussi difficilement d’oublier l’écart minimum mais explicite qu’il doit tenir avec le réel.


Tout le challenge et l’ironie de Roland Barthes sont là, en ce qu’il refuse manifestement à son personnage de roman l’écart nécessaire que doit normalement entretenir le sujet d’un roman avec le réel (écart qu’il refuse non pas en ce qu’il parle de lui-même, mais en ce qu’il parle de lui-même à grand renfort de photos intimes sur les cinquante premières pages), et en ce qu’il lui refuse aussi le terrain de la subjectivité libre, ou du lyrisme gratuit, terrain privilégié du style autotélique... Le style ici n’a le droit de s’exprimer que dans les cadres d’une logique stricte, celle de l'essai, une logique propre à chaque aphorisme cela dit, refusant l’artifice de toute conclusion, et c’est peut-être naturellement que l’aphorisme fut envisagé, à condition de privilégier dans l’organisation des aphorismes l’ordre alphabétique à une quelconque logique systémique, ce qui ne pose aucun problème puisque je le rappelle nous parlons d'un personnage de roman...


Le personnage du roman germe, idéaliste, sans contexte qui en vaille vraiment la peine, autotélique dans la tentative jouissive de s’accoucher à toute épreuves, épreuves qu’il s’impose lui-même directement en pensée puisqu’il est à la fois personnage et essayiste.


https://www.youtube.com/watch?v=4bPGxLxogvw

Vernon79
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le 28 oct. 2018

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Vernon79

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