It's not Shakespeare, it's not Wodehouse, it's not Superman... it's Adams !

Pour ceux qui auraient vu le film de Garth Jennings, pas besoin de présenter Le Guide du voyageur galactique, de Douglas Adam. Pour ceux qui n’auraient pas vu le film, inutile également, puisqu’une petite consultation du guide en question fait apparaître très clairement que la lecture de ce type d’ouvrage est susceptible de faire perdre jusqu’à 98 638 527 378 neurones, en tous cas pas moins de 40 361 457 530, et que la plupart de ceux qui s’y sont risqués ont fini dans un asile de fous, en train de chasser des hordes de singes arcbuturiens imaginaires avec une serviette de bain, tout en fredonnant la Java prosténique, dans le but de dissuader une bande de Vogons, non moins imaginaires que les singes susnommés, qui tenaient absolument à leur faire signer, de gré ou de force, la circulaire A-53-LF-679…
Bref, vous l’aurez compris, c’est à vos risques et périls que vous tenterez l’expérience. Néanmoins, il y a beaucoup de choses à retenir du Guide du voyageur galactique, une fois que vous aurez renoncé à toute volonté de vous élever l’esprit avec un tel roman (pour l’élévation spirituelle, le guide recommande davantage les Confessions de Saint Augustin ou le très instructif Treize moyens de contourner le règlement des contrôleurs spatiaux trifoliens en cas de traversée de l’hyperespace des trois lunes de la planète Trifouillas du savant très réputé Zoglab Mindab, qui précise toutefois que ces moyens ont davantage de chances d’être efficaces si vous conservez votre vaisseau loin de l’hyperespace en question…). Le roman d’Adam est donc le parfait trait d’union entre l’humour raffiné (?) et tout britannique d’un Wodehouse et l’humour loufoque mais non moins britannique de Monthy Python au sommet de leur forme. Evidemment, ce n’est pas le scénario qui compte, mais bien la manière de le raconter. C’est d’ailleurs ce qui me pousse à formuler un conseil qui, à tout prendre, revêtira plutôt une forme d’impératif : SURTOUT, NE LISEZ PAS LE ROMAN EN FRANÇAIS !!!
Peu soupçonnable d’être un de ces fanatiques pour qui toute œuvre ne peut être lue (ou vue) qu’en version originale, j’ai d’abord lu le roman en français. Légèrement déçu par une certaine vulgarité de ton, ou tout au moins une trivialité parfois déplacée, je l’ai ensuite réessayé en anglais, et c’est peu dire que l’expérience fut concluante. Ce que j’ai découvert fut un tout autre roman que celui que j’avais découvert en français. La finesse britannique dont fait preuve Douglas Adam avait disparu (en partie, soyons honnêtes) derrière une trivialité sans doute jugée plus française par le traducteur malheureusement officiel qu’a été Jean Bonnefoy. Ce dernier a pour ainsi dire réécrit le roman, pour des raisons potentiellement pertinentes, mais qui restent encore obscures à mon humble cerveau. Un exemple : depuis quand le verbe anglais « to annoy » se traduit-il en français (de manière récidivée par Bonnefoy) par « emmerder » ? Bien sûr, cela aurait pu être cohérent, si le ton du livre s’y prêtait, mais on n’est pas ici dans un polar américain du XXe siècle, et Arthur Dent, improbable héros d’une aventure qui l’est encore davantage, n’a avec un Sam Spade, sorti du New York des années 1930, qu’une ressemblance extrêmement modérée... et pour les cerveaux lents qui seraient susceptibles de lire ma critique, c’est bien évidemment une litote. On pourrait aussi mentionner certaines blagues qui, en français, ont davantage tendance à tourner en-dessous de la ceinture (heureusement pas trop souvent), là où l’auteur britannique n’y plaçait aucune allusion. Bref, vous l’aurez compris : à moins d’avoir un traumatisme lié à ce langage depuis votre plus tendre enfance, auquel cas on ne pourrait que vous conseiller de faire immédiatement appel au plus compétent de nos psychiatres actuels pour débloquer ce handicap embêtant, lisez ce roman en anglais ! Ou ne le lisez pas… La version française est une trahison en bonne et due forme et, s’il n’est pas impossible d’y prendre malgré tout un certain plaisir, on est tout de même souvent loin de la version originale telle que voulue par l’auteur.
Autre point important : l’inconvénient d’avoir vu (et apprécié) le film est qu’on s’attend à des aventures bien plus denses que celles racontées ici en un tome. Le film de Garth Jennings, par ailleurs très fidèle à l’humour et au ton du roman, ainsi que, dans une moindre mesure, au scénario, narrait des péripéties bien plus nombreuses, mais il faut reconnaître que, là où il y a eu cinq tomes (originaux), il n’y a eu qu’un seul film. Avec 5 tomes à disposition, la matière narrative était donc beaucoup plus fournie pour Jennings, qui s’en est tiré avec un brio certain. Si on n’attend pas un scénario aussi complet du livre original que de l’adaptation, on pourra savourer à sa juste valeur le roman sorti de l’imaginaire plus que fertile de Douglas Adam, auteur au style suffisamment travaillé pour être anglais, à l’imagination – on l’espère ardemment ! – pas trop visionnaire, et à l'humour suffisamment déjanté pour être détesté par certains, qui ne devraient être, soyons-en assurés, qu'une infime minorité.
Récapitulons:
Pour ceux qui auraient vu le film sans lire le roman, dépêchez-vous de le lire. Pour ceux qui auraient lu le roman sans voir le film, dépêchez-vous de le voir. Pour ceux qui n’auraient ni lu le roman ni vu le film, voici les étapes à respecter dans le protocole conseillé par le Guide du voyageur galactique :
- Lisez la quatrième de couverture du roman. Si elle vous plaît, ouvrez-le prudemment en vérifiant que le livre que vous tenez en mains est bien écrit dans la langue de Shakespeare, qui, par bonheur, se trouve être également celle de Douglas Adams. Si elle ne vous plaît pas, reposez le livre, et sautez du parapet du pont le plus proche : nous ne pouvons plus rien faire pour vous (cette dernière consigne du guide est quelque peu de parti pris: vous n'êtes bien sûr pas obligé d'aller jusqu'au bout, mais posez-vous tout de même quelques questions).
- Une fois que vous avez ouvert le roman (ai-je bien précisé qu’il devait être en anglais, et pas en français ? Il est possible que la version russe ou japonaise soit fidèle, mais je ne l'ai pas testé pour vous !), vous êtes autorisés à rire autant que vous le désirez, ou en tous cas, à sourire du premier au dernier mot, si vous voulez prouver que vous avez un tant soit peu d’esprit. Si vous avez apprécié le roman, il vous est fortement conseillé de venir apprécier cette critique, acte qui vous prendra entre 1 et 2 secondes (un simple clic, et c’est fini !).
- Une fois le roman terminé, que vous ayez apprécié ou non (cas tout de même improbable), que vous ayez envie de voir le film ou non, regardez-en la bande-annonce, surtout au cas où vous voulez passer deux des meilleures minutes de votre vie…
- Si vous avez apprécié la bande-annonce, unique cas envisageable, regardez le film.
- Si vous avez apprécié le film, il vous est fortement conseillé de venir apprécier cette critique. Le guide vous remercie.
- Une fois toutes ces actions effectuées, couchez-vous sur vos deux oreilles : vous êtes arrivé au bout du processus avec succès.
- Et surtout : PAS DE PANIQUE !

Tonto
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le 30 avr. 2016

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Tonto

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